Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/193

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public avait reçu l’ébranlement salutaire nécessaire pour le ranimer.

Que si l’on redoute le caractère français, plus impétueux, plus impatient du joug de la loi, je dirai que nous ne sommes tels que parce que nous n’avons pas contracté l’habitude de nous réprimer nous-mêmes. Il en est des élections comme de tout ce qui tient au bon ordre. Par des précautions inutiles, on cause le désordre, ou bien on l’accroît. En France, nos spectacles, nos fêtes sont hérissés de gardes et de baïonnettes ; on croirait que trois citoyens ne peuvent se rencontrer sans avoir besoin de deux soldats pour les séparer. En Angleterre, vingt mille hommes se rassemblent, pas un soldat ne paraît au milieu d’eux ; la sûreté de chacun est confiée à la raison et à l’intérêt de chacun ; et cette multitude, se sentant dépositaire de la tranquillité publique et particulière, veille avec scrupule sur ce dépôt.

L’élection populaire peut seule investir la représentation nationale d’une force véritable, et lui donner dans l’opinion des racines profondes. Le représentant nommé par tout autre mode ne trouve nulle part une voix qui reconnaisse la sienne ; aucune fraction du peuple ne lui tient compte de son courage, parce que toutes sont découragées par la longue filière, dans les détours de laquelle leur suffrage s’est dénaturé ou a disparu. La tyrannie invoque tour à tour les votes d’une prétendue représentation contre ce peuple, et le nom de ce peuple contre cette prétendue représentation. Ce vain simulacre ne sert jamais de barrière, mais sert d’apologie à tous les excès[1].


  1. Je dois observer qu’on a objecté que l’élection populaire n’existait pas pleinement en Angleterre, parce qu’il y a des bourgs où les électeurs sont très-peu nombreux ; dans quelques-uns même il n’y a qu’un seul électeur : mais à côté de ces bourgs il y a des