Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/28

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Comme homme politique, Benjamin Constant a donné lieu à de nombreux reproches, et les haines qui s’étaient déchaînées contre lui de son vivant l’ont suivi jusque dans la mort. On l’accuse d’avoir manqué de convictions, d’avoir été tour à tour républicain, impérialiste et monarchiste ; mais ici encore sa justification ressort des faits et ne laisse planer sur sa mémoire aucun soupçon d’inconséquence.

Le grand publiciste s’était fait du gouvernement, quelle qu’en fût la forme, une idée très-haute ; il croyait que ceux qui sont appelés à diriger les affaires publiques ne doivent avoir qu’un seul but, l’intérêt général ; qu’il est de leur devoir de s’oublier eux-mêmes, de s’immoler à cet intérêt, de faire régner la liberté qui n’est, suivant la belle définition de Montesquieu, que la sécurité pour tous. Le mouvement de 89 éclate ; la France prend possession d’elle-même et se lève dans sa force et dans son calme, pour réaliser, par la justice, l’idéal des sociétés humaines ; Benjamin Constant voit tomber sans regrets la vieille monarchie, parce qu’elle est impuissante à faire disparaître les abus contre lesquels la nation n’a jamais cessé de protester, depuis le jour où les États-Généraux se sont ouverts pour la première fois. Il salue la République comme l’instrument de la rénovation sociale ; mais elle glisse dans le sang. L’égalité et la fraternité qu’elle proclame ne sont plus, comme l’a dit Vergniaud, deux sœurs qui s’embrassent, mais deux tigres qui se déchirent, et Benjamin Constant, blessé dans ses espérances les plus chères, proteste éloquemment dans le beau livre Des effets de la terreur, non pas contre la République, comme forme abstraite de gouvernement, mais contre les hommes qui s’étaient servis de son prestige pour masquer leur tyrannie, et n’avaient arraché la France à la royauté que pour la jeter au bourreau.

Benjamin Constant se rallie au premier consul, parce qu’il voit en lui le glorieux défenseur de sa patrie adoptive, et qu’il croit y voir le restaurateur de la paix et des libertés publiques. Il défend ces libertés au Tribunat ; le jour où elles sont menacées, il tombe en disgrâce, parce qu’il n’a point cédé sur les principes, et bien loin de transiger comme tant d’autres, dans l’intérêt de