Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/390

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pide. La moindre lumière, le moindre germe de la pensée, le moindre sentiment doux, la moindre forme élégante doivent être soigneusement protégés. Ce sont autant d’éléments indispensables au bonheur social ; il faut les sauver de l’orage : il le faut, et pour l’intérêt de la justice, et pour celui de la liberté ; car toutes ces choses aboutissent à la liberté, par des routes plus ou moins directes.

Nos réformateurs fanatiques confondirent les époques, pour rallumer et entretenir les haines. Comme on était remonté aux Francs et aux Goths pour consacrer des distinctions oppressives, ils remontèrent aux Francs et aux Goths pour trouver des prétextes d’oppression en sens inverse. La vanité avait cherché des titres d’honneur dans les archives et dans les chroniques ; une vanité plus âpre et plus vindicative puisa dans les chroniques et dans les archives des actes d’accusation. On ne voulut ni tenir compte des temps, ni distinguer les nuances, ni rassurer les appréhensions, ni pardonner aux prétentions passagères, ni laisser de vains murmures s’éteindre, de puériles menaces s’évaporer ; on enregistra les engagements de l’amour-propre ; on ajouta aux distinctions qu’on voulait abolir une distinction nouvelle, la persécution ; et en accompagnant leur abolition de rigueurs injustes, on leur ménagea l’espoir assuré de ressusciter avec la justice.

Dans toutes les luttes violentes, les intérêts accourent sur les pas des opinions exaltées, comme les oiseaux de proie suivent les armées prêtes à combattre. La haine, la vengeance, la cupidité, l’ingratitude, parodièrent effrontément les plus nobles exemples, parce qu’on en avait recommandé maladroitement l’imitation. L’ami perfide, le débiteur infidèle, le délateur obscur, le juge prévaricateur, trouvèrent leur apologie écrite d’avance