Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/402

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Dieu vous préserve d’en établir, mais renversé la puissance de quelque opinion qui fut jadis un dogme, ne vous effrayez pas de ce qu’on la regrette ; ne prohibez pas l’expression de ces regrets ; n’allez pas lui décerner les honneurs de l’intolérance : feignez d’ignorer son existence même ; opposez à son importance votre oubli ; laissez à qui le voudra le soin de la combattre ; il se présentera des combattants, n’en doutez pas, lorsque l’odieux du pouvoir ne rejaillira plus sur la cause. Ne comprimez que les actions, et bientôt l’opinion, examinée, appréciée, jugée, subira le sort de toutes les opinions que la persécution n’anoblit pas, et descendra pour jamais de sa dignité de dogme.

La justice prescrit au gouvernement cette conduite ; la prudence encore la lui prescrit.

Les réactions contre les hommes n’ont qu’un but : la vengeance, et qu’un moyen : la violation de la loi ; le gouvernement n’a donc à prévenir que des délits précisés d’avance. Mais les réactions contre les idées sont variées à l’infini, et les moyens sont plus variés encore. Si le gouvernement veut être actif, au lieu d’être simplement préservateur, il se condamne à un travail sans fin ; il faut qu’il agisse contre des nuances : il se dégrade par tant de mouvements pour des objets presque imperceptibles. Ses efforts, renouvelés sans cesse, paraissent puérils : vacillant dans son système, il est arbitraire dans ses actes : il devient injuste, parce qu’il est incertain ; il est trompé, parce qu’il est injuste.