Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/413

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tuellement, comme son ardeur ne reposerait sur aucune conviction, sur aucun sentiment, sur aucune pensée comme toutes les causes d’exaltation qui, jadis, anoblissaient le carnage même, lui seraient étrangères, elle n’aurait d’aliment ou de mobile que la plus étroite et la plus âpre personnalité. Elle prendrait la férocité de l’esprit guerrier, mais elle conserverait le calcul commercial. Ces Vandales ressuscités n’auraient point cette ignorance du luxe, cette simplicité de mœurs, ce dédain de toute action basse, qui pouvaient caractériser leurs grossiers prédécesseurs. Ils réuniraient à la brutalité de la barbarie les raffinements de la mollesse, aux excès de la violence les ruses de l’avidité.

Des hommes à qui l’on aurait dit bien formellement qu’ils ne se battent que pour piller, des hommes dont on aurait réduit toutes les idées belliqueuses à ce résultat clair et arithmétique, seraient bien différents des guerriers de l’antiquité.

Quatre cent mille égoïstes, bien exercés, bien armés, sauraient que leur destination est de donner ou de recevoir la mort. Ils auraient supputé qu’il valait mieux se résigner à cette destination que s’y dérober, parce que la tyrannie qui les y condamne est plus forte qu’eux. Ils auraient, pour se consoler, tourné leurs regards vers la récompense qui leur est promise : la dépouille de ceux contre lesquels on les mène. Ils marcheraient, en conséquence, avec la résolution de tirer de leurs propres forces le meilleur parti qu’il leur serait possible. Ils n’auraient ni pitié pour les vaincus, ni respect pour les faibles, parce que les vaincus étant, pour leur malheur, propriétaires de quelque chose, ne paraîtraient à ces vainqueurs qu’un obstacle entre eux et le but proposé. Le calcul aurait tué dans leur âme toutes les émotions naturelles, excepté celles qui naissent de la