Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/424

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Que l’on ne croie pas que cette conduite fut le résultat accidentel d’une perversité particulière : elle serait le résultat nécessaire de la position. Toute autorité qui voudrait entreprendre aujourd’hui des conquêtes étendues, serait condamnée à cette série de prétextes vains et de scandaleux mensonges. Elle serait coupable assurément, et nous ne chercherons pas à diminuer son crime ; mais ce crime ne consisterait point dans les moyens employés : il consisterait dans le choix volontaire de la situation qui commande de pareils moyens.

L’autorité aurait donc à faire, sur les facultés intellectuelles de la masse de ses sujets, le même travail que sur les qualités morales de la portion militaire. Elle devrait s’efforcer de bannir toute logique de l’esprit des uns, comme elle aurait tâché d’étouffer toute humanité dans le cœur des autres ; tous les mots perdraient leur sens ; celui de modération présagerait la violence ; celui de justice annoncerait l’iniquité. Le droit des nations deviendrait un code d’expropriation et de barbarie : toutes les notions que les lumières de plusieurs siècles ont introduites dans les relations des sociétés, comme dans celles des individus, en seraient de nouveau repoussées. Le genre humain reculerait vers ces temps

    de leurs gouvernements, qu’on supposait illégitimes et tyranniques. Avec ce prétexte on a porté la mort chez des hommes, dont les uns vivaient tranquilles sous des institutions adoucies par le temps et l’habitude, et dont les autres jouissaient, depuis plusieurs siècles, de tous les bienfaits de la liberté : époque à jamais honteuse où l’on vit un gouvernement perfide graver des mots sacrés sur des étendards coupables, troubler la paix, violer l’indépendance, détruire la prospérité de ses voisins innocents, en ajoutant au scandale de l’Europe par des protestations mensongères de respect pour les droits des hommes, et de zèle pour l’humanité ! La pire des conquêtes, c’est l’hypocrite, dit Machiavel, comme s’il avait prédit notre histoire.