Page:Constant - Adolphe.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

possible. Il n’y a pas une heure d’abandon et de rêverie. Le silence est une plainte et la parole une querelle. Chaque mot renferme un regret ou une invective. S’il pleure, elle l’accusera de faiblesse ou de lâcheté. Si, face à face avec l’horrible vérité, il retient sur ses lèvres l’aveu près de lui échapper, si sa voix, suffoquée par les sanglots, balbutie une bénédiction importante, elle s’emporte, elle implore sa colère : elle s’irrite de cette douleur si peu virile, et lui souhaiterait de l’orgueil, afin de le combattre.

Que faire contre les larmes ? quelle défense opposer à cette affliction qui se confesse ? Quand les larmes ne se mêlent pas à des larmes amies, quand une bouche adorée ne vient pas les boire dans nos yeux et rafraîchir de ses baisers la paupière enflammée, l’homme s’avilit aux yeux de sa maîtresse. Il se dégrade, il abdique sa grandeur : le nuage grossit et devient orage. Si elle eût pleuré, il était sauvé ; mais elle a vu sa douleur sans la partager, elle l’a jugé, elle a mesuré sa force : il est perdu.

Après le premier apaisement, le mensonge recommence : car il faudrait une haute sagesse, un courage bien rare, pour céder sans autre combat un sol si longtemps défendu.