nécessairement notre conduite, au lieu que les axiomes directs restent, pour ainsi dire, dans leur niche, comme ces pagodes de l’Inde que leurs adorateurs saluent de loin, sans en approcher jamais ? Serait-ce qu’on n’aimerait pas pour soi la morale qui naît de l’attendrissement et de l’enthousiasme, parce que cette morale force en quelque sorte l’action, au lieu que les maximes précises n’obligent les hommes qu’à les répéter ? Et ferait-on ainsi de la morale une masse compacte et indivisible, pour qu’elle se mêlât le moins possible aux intérêts journaliers, et laissât plus de liberté dans tous les détails ? Un ouvrage d’imagination ne doit pas avoir un but moral, mais un résultat moral. il doit ressembler, à cet égard, à la vie humaine qui n’a pas un but, mais qui toujours a un résultat dans lequel la morale trouve nécessairement sa place. Or, si je voulais m’étendre encore sur ce point, relativement à Corinne, je montrerais sans peine que son résultat moral n’est méconnaissable que pour ceux qui se plaisent à le méconnaître. Aucun ouvrage ne présente avec plus d’évidence cette importante leçon, que plus on a de facultés brillantes, plus il faut savoir les dompter ; que lorsqu’on offre aux vents impétueux de si vastes voiles, il ne faut pas tenir un gouvernail faible d’une main tremblante ; que plus les dons de la nature sont nombreux, éclatants et diversifiés, plus
Page:Constant - Adolphe (Extraits de la correspondance), 1960.djvu/114
Apparence