Aller au contenu

Page:Constant - Adolphe (Extraits de la correspondance), 1960.djvu/115

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

il faut marcher au milieu des hommes avec défiance et avec réserve ; qu’entre le génie révolté et la société sourde et sévère, la lutte n’est pas égale, et que pour les âmes profondes, les caractères fiers et sensibles, les imaginations ardentes, les esprits étendus, trois choses sont nécessaires, sous peine de voir le malheur tomber sur eux, savoir vivre seul, savoir souffrir ; savoir mépriser. « Mais Corinne est enthousiaste, et l’enthousiasme a bien des dangers. » Vraiment, je ne me doutais pas que ces dangers nous entourassent : je regarde autour de moi, et, je l’avoue, je ne m’aperçois pas qu’en fait d’enthousiasme, le feu soit à la maison. Où sont-ils donc ces gens entraînés par l’enthousiasme, et qu’il est si pressant d’en préserver ? Voyons-nous beaucoup d’hommes, ou même beaucoup de femmes, sacrifier leurs intérêts à leurs sentiments, négliger par exaltation le soin de leur fortune, de leur considération ou de leur repos ? S’immole-t-on beaucoup par amour, par amitié, par pitié, par justice, par fierté ? Est-il urgent de mettre un terme à ces sacrifices ? A voir tant d’écrivains courir au secours de l’égoïsme, ne dirait-on pas qu’il est menacé ? Rassurons-nous ; il n’a rien à craindre. Nous sommes à l’abri de l’enthousiasme. Les jeunes gens mêmes y sont inaccessibles, admirables par leur amour pour l’étude, leur soif de connaissances, leur impartialité, leur raison,