Page:Constant - De l'esprit de conquête, Ficker, 1914.djvu/50

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Il est vrai, l’on ne réduit pas les vaincus en esclavage, on ne les dépouille pas de la propriété de leurs terres, et on ne les condamne point à les cultiver pour d’autres, on ne les déclare pas une race subordonnée appartenant aux vainqueurs.

Leur situation paroît donc encore à l’extérieur plus tolérable qu’autrefois. Quand l’orage est passé, tout semble rentrer dans l’ordre. Les cités sont debout : les marchés se repeuplent : les boutiques se rouvrent ; et, sauf le pillage accidentel, qui est un malheur de la circonstance, sauf l’insolence habituelle, qui est un droit de la victoire, sauf les contributions, qui, méthodiquement imposées, prennent une douce apparence de régularité, et qui cessent, ou doivent cesser, lorsque la conquête est accomplie, on diroit d’abord qu’il n’y a de changé que les noms et quelques formes. Entrons néanmoins plus profondément dans la question.

La conquête, chez les anciens, détruisoit souvent les nations entières ; mais quand elle ne les détruisoit pas, elle laissoit intacts tous les objets de l’attachement le plus vif des hommes, leurs mœurs, leurs lois, leurs usages, leurs dieux. Il n’en est pas de même dans les temps modernes. La vanité de la civilisation est plus tourmentante que l’orgueil de la barbarie. Celui-ci voit en masse : la