Page:Constant - Le Cahier rouge, éd. Constant de Rebecque.djvu/81

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je faisais et que je ne pouvais en rien répondre de moi-même. J’eus pourtant assez de raison pour être fort effrayé de cet état dans une ville inconnue, tout seul et avec si peu d’argent dans ma poche. Ce m’était une sensation très singulière que d’être ainsi à la merci du premier venu et privé de tout moyen de répondre, de me défendre et de me diriger. Je fermai ma porte à clef et m’étant ainsi mis à l’abri des autres, je me couchai à terre pour attendre que les idées me revinssent.

Je passai ainsi cinq ou six heures, et la bizarrerie de la situation, jointe à l’effet du vin, me donna des impressions si vives et si étranges que je me les suis toujours rappelées. Je me voyais à trois cents lieues de chez moi, sans biens ni appui quelconque, ignorant si mon père ne m’avait pas désavoué et ne me repousserait pas pour jamais, n’ayant pas de quoi vivre quinze jours et m’étant mis dans cette position sans aucune nécessité et sans aucun but. Mes réflexions dans cet état d’ivresse étaient beaucoup plus sérieuses et plus raisonnables que celles que j’avais faites, quand je jouissais de toute ma raison, parce qu’alors j’avais formé des