Page:Contes des Fées, par Perrault, Mme D’Aulnoy, Hamilton et Mme Leprince de Beaumont, 1872.djvu/268

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reine, elle fut bien étonnée de la trouver d’or, toute couverte de gros diamants, et remplie d’une eau qui sentait admirablement bon. Elle n’osait l’emporter, craignant qu’elle ne fût pas à elle. « Je vous la donne, Fortunée, dit la reine ; allez arroser les fleurs dont vous prenez soin, et souvenez-vous que la reine des Bois veut être de vos amies. »

À ces mots, la bergère se jeta à ses pieds. « Après vous avoir rendu de très humbles grâces, madame, lui dit-elle, de l’honneur que vous me faites, j’ose prendre la liberté de vous prier d’attendre ici un moment, je vais vous quérir la moitié de mon bien, c’est mon pot d’œillets, qui ne peut jamais être en de meilleures mains que les vôtres. — Allez, Fortunée, lui dit la reine, en lui touchant doucement les joues, je consens de rester ici jusqu’à ce que vous reveniez. »

Fortunée prit sa cruche d’or, et courut dans sa petite chambre ; mais pendant qu’elle en avait été absente, son frère Bedou y était entré ; il avait pris le pot d’œillets, et mis à la place un grand chou. Quand Fortunée aperçut ce malheureux chou, elle tomba dans la dernière affliction, et demeura fort irrésolue si elle retournerait à la fontaine. Enfin elle s’y détermina, et se mettant à genoux devant la reine : « Madame, lui dit-elle, Bedou m’a volé mon pot d’œillets, il ne me reste que mon jonc ; je vous supplie de le recevoir comme une preuve de ma reconnaissance. — Si je prends votre jonc, belle bergère, dit la reine, vous voilà ruinée ! — Ha ! madame, dit-elle, avec un air tout spirituel, si je possède vos bonnes grâces, je ne puis me ruiner. » La reine prit le jonc de Fortunée, et le mit à son doigt ; aussitôt elle monta dans un char de corail, enrichi d’émeraudes, tiré par six chevaux blancs, plus beaux que l’attelage du soleil. Fortunée la suivit des yeux, tant qu’elle put ; enfin les différentes routes de la forêt la dérobèrent à sa vue. Elle retourna chez Bedou, toute remplie de cette aventure.

La première chose qu’elle fit en entrant dans la chambre, ce fut de jeter le chou par la fenêtre. Mais elle fut bien étonnée d’entendre une voix, qui criait : « Ah ! je suis mort ! » Elle ne comprit rien à ces plaintes, car ordinairement les choux ne parlent pas. Dès qu’il fut jour, Fortunée, inquiète de son pot d’œillets, descendit en bas pour l’aller chercher ; et la première chose qu’elle trouva, ce fut le malheureux chou ; elle lui donna un coup de pied, et disant : « Que fais-tu ici, toi qui te mêles de tenir dans ma chambre la place de mes œillets ? — Si l’on ne m’y avait pas porté, répondit le chou, je ne me serais pas avisé de ma tête d’y aller. » Elle frissonna, car elle avait grand’peur ; mais le chou lui dit encore :