Page:Contes des Fées, par Perrault, Mme D’Aulnoy, Hamilton et Mme Leprince de Beaumont, 1872.djvu/273

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empêcher de toucher aux œillets ; ainsi, ma chère Fortunée, si mon fils vous épouse avec ce jonc, votre félicité sera permanente ; voyez à présent si ce prince vous paraît assez aimable pour le recevoir pour époux. — Madame, répliqua-t-elle en rougissant, vous me comblez de grâces ; je connais que vous êtes ma tante ; que, par votre savoir, les gardes envoyés pour me tuer, ont été métamorphosés en choux, et ma nourrice en poule ; qu’en me proposant l’alliance du prince Œillet, c’est le plus grand honneur où je puisse prétendre. Mais, vous dirai-je mon incertitude ? Je ne connais point son cœur, et je commence à sentir pour la première fois de ma vie que je ne pourrais être contente s’il ne m’aimait pas. — N’ayez point d’incertitude là-dessus, belle princesse, lui dit le prince, il y a longtemps que vous avez fait en moi toute l’impression que vous y voulez faire à présent, et si l’usage de la voix m’avait été permis, que n’auriez-vous pas entendu tous les jours des progrès d’une passion qui me consumait ! mais je suis un prince malheureux, pour lequel vous ne ressentez que de l’indifférence. » Il lui dit ensuite ces vers :

Tandis que d’un œillet j’ai gardé la figure,
Vous me donniez vos tendres soins :
Vous veniez quelquefois admirer sans témoins
De mes brillantes fleurs la bizarre peinture,
Pour vous je répandais mes parfums les plus doux,
J’affectais à vos yeux une beauté nouvelle ;
Et lorsque j’étais loin de vous,
Une sécheresse mortelle
Ne vous prouvait que trop, qu’en secret consumé,
Je languissais toujours dans l’attente cruelle
De l’objet qui m’avait charmé.
À mes douleurs vous étiez favorable,
Et votre belle main,
D’une eau pure arrosait mon sein,
Et quelquefois votre bouche adorable,
Me donnait des baisers, hélas ! pleins de douceurs.
Pour mieux jouir de mon bonheur,
Et vous prouver mes feux et ma reconnaissance,
Je souhaitais, en un si doux moment,
Que quelque magique puissance
Me fît sortir d’un triste enchantement.
Mes vœux sont exaucés : je vous vois, je vous aime ;
Je puis vous dire mon tourment :
Mais, par malheur pour moi, vous n’êtes plus la même.
Quels vœux ai-je formés ! justes dieux ! qu’ai-je fait !