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BABIOLE.

ce qu’il ressentit quand il put lire sur le visage de cette aimable princesse qu’elle était dans la dernière douleur de l’état où il était réduit.

Je ne m’arrêterai point à redire toutes les choses que son cœur lui fournit pour la remercier des bontés qu’elle lui témoignait ; ceux qui l’entendirent furent surpris qu’un homme si malade pût marquer tant de passion et de reconnaissance. L’infante, qui en rougit plus d’une fois, le pria de se taire ; mais l’émotion et l’ardeur de ses discours le menèrent si loin, qu’elle le vit tomber tout d’un coup dans une agonie affreuse. Elle s’était armée jusque-là de constance ; enfin, elle la perdit à tel point, qu’elle s’arracha les cheveux, qu’elle jeta les hauts cris et qu’elle donna lieu de croire à tout le monde que son cœur était de facile accès, puisqu’en si peu de temps elle avait pris tant de tendresse pour un étranger ; car on ne savait point en Babiolie (c’est le nom qu’elle avait donné à son royaume) que le prince était son cousin, et qu’elle l’aimait dès sa plus grande jeunesse.

C’était en voyageant qu’il s’était arrêté dans cette cour, et comme il n’y connaissait personne pour le présenter à l’infante, il crut que rien ne serait mieux que de faire devant elle cinq ou six galanteries de héros, c’est-à-dire couper bras et jambes aux chevaliers du tournoi ; mais il n’en trouva aucun assez complaisant pour le souffrir. Il y eut donc une rude mêlée ; le plus fort battit le plus faible, et ce plus faible, comme je l’ai déjà dit, fut le prince.

Babiole désespérée, courait les grands chemins sans carrosse et sans gardes ; elle entra ainsi dans un bois ; elle tomba évanouie au pied d’un