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Page:Contes des Fées, par Perrault, Mme D’Aulnoy, Hamilton et Mme Leprince de Beaumont, 1872.djvu/294

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MADAME D’AULNOY.

arbre, où la fée Fanfreluche, qui ne dormait point et qui ne cherchait que des occasions de mal faire, vint l’enlever dans une nuée plus noire que de l’encre et qui allait plus vite que le vent. La princesse resta quelque temps sans aucune connaissance. Enfin elle revint à elle ; jamais surprise n’a été égale à la sienne de se retrouver si loin de la terre et si proche du pôle ; le parquet de nuée n’est pas solide, de sorte qu’en courant deçà et delà, il lui semblait marcher sur des plumes, et la nuée s’entr’ouvrant, elle avait beaucoup de peine de s’empêcher de tomber. Elle ne trouvait personne avec qui se plaindre, car la méchante Fanfreluche s’était rendue invisible. Elle eut le temps de penser à son cher prince, et à l’état où elle l’avait laissé, et elle s’abandonna aux sentiments les plus douloureux qui puissent occuper une âme. « Quoi ! s’écriait-elle, je suis encore capable de survivre à ce que j’aime, et l’appréhension d’une mort prochaine trouve quelque place dans mon cœur ! Ah ! si le soleil voulait me rôtir, qu’il me rendrait un bon office ! ou si je pouvais me noyer dans l’arc-en-ciel, que je serais contente ! Mais, hélas ! tout le Zodiaque est sourd à ma voix, le Sagittaire n’a point de flèches, le Taureau de cornes et le Lion de dents ; peut-être que la terre sera plus obligeante et qu’elle m’offrira la pointe d’un rocher sur lequel je me tuerai. Oh ! prince, mon cher cousin, que n’êtes-vous ici pour me voir faire la plus tragique cabriole dont une amante désespérée se puisse aviser ! » En achevant ces mots, elle courut au bout de la nuée, et se précipita comme un trait que l’on décoche avec violence.

Tous ceux qui la virent crurent que c’était la lune qui tombait, et comme l’on était pour lors en décours, plusieurs peuples qui l’adorent, et qui restent du temps sans la revoir, prirent le grand deuil et se persuadèrent que le soleil, par jalousie, lui avait joué ce mauvais tour.

Quelque envie qu’eût l’infante de mourir, elle n’y réussit pas ; elle tomba dans la bouteille de verre où les fées mettaient ordinairement leur ratafia au soleil. Mais quelle bouteille ! il n’y a point de tour dans l’univers qui soit si grande ; par bonheur elle était vide, car elle s’y serait noyée comme une mouche.

Six géants la gardaient. Ils reconnurent aussitôt l’infante ; c’étaient les mêmes qui demeuraient dans sa cour et qui l’aimaient : la maligne Fanfreluche, qui ne faisait rien au hasard, les avait transportés-là chacun sur un dragon volant, et ces dragons gardaient la bouteille quand les géants dormaient. Pendant qu’elle y fut, il y eut bien des jour où