Page:Contes des Fées, par Perrault, Mme D’Aulnoy, Hamilton et Mme Leprince de Beaumont, 1872.djvu/430

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Il la reçut tendrement, et la loua d’avoir eu la prudence de revenir ; mais cela n’empêcha pas que le chagrin ne recommençât, avec d’autant plus de force, qu’il en coûtait déjà l’étoffe de deux habits inutiles, et plusieurs autres petites choses. Le bon vieillard se désolait en secret parce qu’il ne voulait pas montrer toute sa douleur à ses filles. Enfin sa cadette vint le prier, avec les dernières instances, de lui accorder la même grâce qu’il avait faite à ses sœurs. Peut-être, dit-elle, que c’est une présomption d’espérer réussir mieux qu’elles ; mais cependant je ne laisserai pas de tenter l’aventure ; ma taille est plus haute que la leur, vous savez que je vais tous les jours à la chasse, cet exercice ne laisse pas de donner quelque talent pour la guerre ; et le désir extrême que j’ai de vous soulager dans vos peines, m’inspire un courage extraordinaire. Le comte l’aimait beaucoup plus que ses deux autres sœurs ; elle avait tant de soin de lui, qu’il la regardait comme son unique consolation ; elle lisait des histoires agréables pour le divertir, elle le veillait dans ses maladies, et tout le gibier qu’elle tuait n’était que pour lui ; de sorte qu’il employa des raisons pour la détourner de ce dessein, encore plus fortes que celles dont il s’était servi à l’égard de ses sœurs. Voulez-vous me quitter ma chère fille, lui disait-il ? Votre absence me causera la mort ; quand il serait vrai que la fortune favoriserait votre voyage, et que vous reviendriez couverte de lauriers, je n’aurais pas le plaisir d’en être témoin, mon âge avancé et votre absence termineront ma vie. Non, mon père, lui disait Belle-Belle, (c’est ainsi qu’il l’avait nommée), ne croyez pas que je tarde longtemps ; il faudra bien que la guerre finisse ; et si je voyais quelque autre moyen de satisfaire aux ordres du roi, je ne le négligerais pas ; car j’ose vous dire que si mon éloignement vous cause de la peine, il m’en fait encore plus qu’à vous. Il consentit enfin à ce qu’elle désirait. Elle se fit faire un habit très simple, ceux de ses sœurs avaient trop coûté, et les finances du pauvre comte n’y pouvaient suffire ; elle fut obligée de prendre un fort méchant cheval, parce que ses deux sœurs avaient presque estropié les deux autres ; mais tout cela ne la découragea point. Elle embrassa son père, reçut respectueusement sa bénédiction, et après avoir mêlé ses larmes à celles de son père et de ses sœurs, elle partit.

En passant par le pré dont j’ai déjà parlé, elle trouva la vieille bergère qui n’avait point encore retiré son mouton, ou qui voulait en retirer un autre du milieu d’un fossé profond. Que faites-vous là, bergère, dit Belle-Belle, en s’arrêtant ? Je ne fais plus rien, seigneur répondit la