Page:Contes des Fées, par Perrault, Mme D’Aulnoy, Hamilton et Mme Leprince de Beaumont, 1872.djvu/436

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pour se charger un peu. Quoi ! vous prétendez emporter aujourd’hui tout ce bois, dit le chevalier ? Ô seigneur, répliqua Forte-Échine, (c’est ainsi qu’on le nommait), je ne suis pas d’une force ordinaire. Vous gagnez donc beaucoup, dit Fortuné ? Très peu, répondit le bûcheron ; car l’on est pauvre dans ce lieu : ici chacun fait son ouvrage, sans prier le voisin de le faire. Puisque vous êtes dans un pays si peu opulent, ajouta le chevalier, il ne tiendra qu’à vous de passer ailleurs ; venez avec moi, rien ne vous manquera et quand vous voudrez revenir, je vous donnerai de l’argent pour votre voyage. Le bûcheron crut ne pouvoir mieux faire, il abandonna sa cognée, et suivit son nouveau maître.

Dès qu’il eut traversé la forêt, il vit un homme dans la plaine, qui tenait des rubans avec lesquels il s’attachait les jambes, laissant si peu d’espace, qu’il y en avait à peine pour marcher. Camarade s’arrêta, et dit à son maître : Seigneur, voici encore un doué : vous en aurez besoin, il faut l’emmener. Fortuné s’approcha, et avec sa grâce naturelle, il lui demanda pourquoi il attachait ainsi ses jambes. C’est, répondit-il, que je me prépare pour la chasse. Comment, dit le chevalier en souriant, prétendez-vous mieux courir quand vous êtes ainsi garrotté ? Non seigneur, reprit-il, je suis persuadé que ma course sera moins rapide ; mais c’est aussi mon dessein ; car il n’y a point de cerf, de chevreuil ni de lièvre que je ne devance de beaucoup quand mes jambes sont libres, de sorte que les laissant toujours derrière moi, ils m’échappent, et je n’ai presque jamais le plaisir d’en prendre. Vous me paraissez un homme rare, dit Fortuné, comment vous appelez-vous ? L’on m’a nommé Léger, dit le chasseur, et je suis connu dans cette contrée. Si vous en vouliez voir un autre, ajouta le chevalier, je serais très aise que vous vinssiez avec moi, vous n’auriez pas tant de peine, et je vous traiterais fort bien. Léger était médiocrement heureux, il accepta volontiers le parti qui lui était proposé ; ainsi Fortuné, suivi de son nouveau domestique continua son voyage.

Il trouva le lendemain un homme sur le bord d’un marais qui se bandait les yeux ; le cheval dit à son maître : Seigneur, je vous conseille de prendre encore cet homme à votre service. Fortuné lui demanda aussitôt par quelle raison il se bandait les yeux. C’est, dit-il, que je vois trop clair, j’aperçois le gibier à plus de quatre lieues de moi, et je ne tire aucun coup sans en tuer plus que je n’en veux : je suis donc obligé de me bander les yeux ; et bien que je ne fasse qu’entrevoir, je dépeuple un pays de perdreaux, et d’autres petits nids, en moins de deux