Page:Contes des Fées, par Perrault, Mme D’Aulnoy, Hamilton et Mme Leprince de Beaumont, 1872.djvu/444

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bien qu’il ne lui était plus possible de guérir sa maîtresse de l’entêtement qu’elle avait pris.

La reine attendait toujours quelque heureux effet des soins de sa confidente ; mais le peu de progrès qu’elle faisait sur Fortuné l’obligea de chercher elle-même les moyens d’avoir une conversation avec lui. Elle savait qu’il se rendait tous les matins de bonne heure dans un petit bois, qui donnait sous les fenêtres de son appartement. Elle se leva avec l’aurore ; et regardant du côté qu’il devait venir, elle l’aperçut d’un air mélancolique, qui se promenait nonchalamment ; elle appela aussitôt. Floride, tu ne m’as parlé que trop juste, lui dit-elle, sans doute Fortuné aime dans cette cour ou dans son pays : vois la tristesse qui paraît sur son visage : je l’ai remarqué aussi dans toutes ses conversations répliqua Floride, et s’il vous était possible de l’oublier, en vérité, madame, vous feriez bien. Il n’est plus temps, s’écria, la reine, en poussant un profond soupir ; mais puisqu’il entre dans ce berceau de verdure, allons-y, je ne veux être suivie que de toi. Cette fille n’osa arrêter la reine, quelque envie qu’elle en eût car elle craignait qu’elle ne se fît aimer de Fortuné, et une rivale d’un tel rang est toujours très dangereuse. Dès que la reine eut fait quelques pas dans le bois, elle entendit chanter le chevalier, sa voix était très agréable ; il avait fait ces paroles sur un air nouveau :

Ah ! qu’il est difficile
D’aimer avec tendresse et de vivre tranquille !
Plus je me vois heureux,
Et plus je crains la fin du bonheur qui m’enchante ;
Le soin de l’avenir sans cesse m’épouvante,
Il me vient affliger au comble de mes vœux.

Fortuné avait fait ce couplet de chanson par rapport à ses sentiments pour le roi, aux bontés que ce prince lui témoignait, et à l’appréhension d’être enfin reconnu et obligé de quitter une cour où il se trouvait mieux qu’en aucun lieu du monde. La reine, qui s’était arrêtée pour l’écouter, en ressentit une peine extrême. « Que vais-je tenter, dit-elle tout bas à Floride ? ce jeune ingrat méprise l’honneur de me plaire, il s’estime heureux ; il paraît satisfait de sa conquête, il me sacrifie à une autre. — Il est un certain âge, répondit Floride, sur lequel la raison n’a pas encore de droits bien établis ; si j’osais donner un conseil à votre majesté, ce serait d’oublier un petit étourdi qui n’est pas capable de