Page:Contes des Fées, par Perrault, Mme D’Aulnoy, Hamilton et Mme Leprince de Beaumont, 1872.djvu/466

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

« Ô Dieu ! lui dit-elle, que je vous plains ! pourquoi faut-il que le cœur de cette princesse n’ait pu vous échapper ? Hélas ! j’en sais un moins dangereux que le sien, qui n’oserait se déclarer. » Le chevalier ne voulut pas s’embarquer dans un nouvel éclaircissement, il avait déjà assez de chagrin ; et comme il ne cherchait point à plaire à la reine, il prit un habit très négligé, afin qu’elle ne pût penser qu’il eût aucun dessein ; mais s’il pouvait quitter aisément les diamants et la broderie, il n’en allait pas de même de ses charmes personnels ; il était toujours aimable, toujours merveilleux ; de quelque humeur qu’il fût, rien ne l’égalait.

La reine prit grand soin de rehausser sa beauté de tout l’éclat qu’on peut recevoir d’une parure extraordinaire ; elle remarqua avec plaisir que Fortuné en paraissait surpris. Les apparences, lui dit-elle, font quelquefois si trompeuses, que je suis bien aise de me justifier sur ce que vous avez cru sans doute de mes sentiments. Lorsque j’ai engagé le roi de vous envoyer vers l’Empereur, il semblait que je voulais vous sacrifier ; comptez cependant beau Chevalier, que je savais tout ce qui devait en arriver, et que je n’ai point eu d’autres vues que de vous ménager une gloire immortelle. Madame, lui dit-il, vous êtes trop élevée au-dessus de moi, pour que vous deviez vous abaisser jusqu’à une explication ; je n’entre point dans les motifs qui vous ont fait agir, il me suffit d’avoir obéi au roi. Vous avez trop d’indifférence pour l’éclaircissement que je veux vous donner, ajouta-t-elle ; mais enfin le temps est venu de vous convaincre de mes bontés ; approchez Fortuné, approchez, recevez ma main pour gage de ma foi.

Le pauvre chevalier demeura si interdit, qu’on ne l’a jamais été davantage ; il fut vingt fois prêt de déclarer son sexe à la reine ; il n’osa le faire, et répondit aux témoignages de son amitié par une froideur extrême ; il lui dit des raisons infinies sur la colère où serait le roi, d’apprendre que son sujet, au milieu de sa cour, eût osé contracter un mariage si important sans son aveu. Après que la reine eut essayé inutilement de le guérir de la peur qui semblait l’alarmer, elle prit tout-d’un-coup le visage et la voix d’une furie ; elle s’emporta ; elle lui fit mille menaces ; elle le chargea d’injures ; elle le battit ; elle l’égratigna, et tournant ensuite ses fureurs contre elle-même, elle s’arracha les cheveux, se mit le visage et la gorge en sang, déchira son voile et ses dentelles ; puis s’écriant : À moi, gardes, à moi, elle fit entrer les siens dans son cabinet ; elle leur commanda