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Page:Contes secrets Russes, 1891.djvu/156

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CONTES SECRETS RUSSES

« Va sonner, » lui dit-il, « pour le trépas de mon bouc. » Colère du sacristain qui empoigne la barbe du vieillard et la tire avec violence. « Lâche-moi s’il te plaît, » crie le visiteur, « mon bouc était orthodoxe, il t’a légué cinquante roubles pour son enterrement. — Que ne le disais-tu plus tôt ? Si j’avais été prévenu de cela, il y a longtemps que j’aurais sonné le trépas du bouc ! » Ayant ainsi parlé, le sacristain se rendit précipitamment à l’église et sonna à toute volée.

Le pope et le diacre vinrent célébrer l’office des morts chez le vieillard, après quoi, ils mirent le bouc dans un cercueil et l’allèrent inhumer au cimetière. Cependant cette affaire fit du bruit dans la paroisse, et l’évêque finit par apprendre qu’on avait donné la sépulture chrétienne à un bouc. Le pope et le paysan furent cités à comparaître devant le prélat. « Comment, » leur dit-il, avez-vous osé enterrer un bouc ? Ah ! vous êtes des impies. — Mais ce bouc ne ressemblait pas du tout aux autres, » observa le vieillard ; « avant de mourir, il a légué mille roubles à Votre Grandeur. — Eh ! vieil imbécile, ce que je te reproche, ce n’est pas d’avoir fait enterrer ton bouc, mais de l’avoir laissé mourir sans sacrements. » L’évêque prit les mille roubles et renvoya indemnes les deux accusés.