Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/127

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sourire mal dissimulé se peindre sur leur physionomie. Mais si cette conjecture était vraie, leur disposition à la gaieté n’alla pas plus loin, et celui qui avait joué le rôle d’orateur répondit avec le calme qu’il avait déjà montré :

— Vous nous excuserez, Monsieur, si nous ne nous soucions pas de monter sur le cutter. Nous sommes habitués à de longs voyages et à de grands vaisseaux, et l’Alerte n’est qu’un bâtiment côtier ; il n’est pas de taille à se mettre bord à bord avec un Don ou un Monsieur, qui aurait une double rangée de dents.

— Si c’est là ce qu’il vous faut, reprit le colonel, rendez-vous donc à Yarmouth : vous y trouverez des vaisseaux de haut bord en état de prêter le flanc à tout ce qui vogue sur les eaux.

— Ces braves gens, dit le capitaine, préféreraient peut-être abandonner les inquiétudes et les dangers de l’Océan pour embrasser une vie qui offre plus d’aisance et de gaieté. Eh bien ! la main qui a manié une pique d’abordage peut apprendre à tirer le chien d’un mousquet avec autant de grâce que les doigts d’une femme voltigent sur les touches de son piano. Sous certains rapports, la vie d’un marin ressemble beaucoup à celle d’un soldat ; mais, sous plusieurs autres, quelle différence ! Nous ne connaissons ni ouragans, ni tempêtes, ni naufrages, ni demi-rations. On rit, on chante, on boit, on chasse les soucis dans un camp ou à la caserne, autour d’une bonne cantine, tout aussi bien et encore mieux que sur un navire, n’importe lequel. J’ai traversé plusieurs fois l’Océan, et je dois dire que, même par un beau temps, je préférerais le bivouac à un vaisseau.

— Nous ne doutons pas que tout ce que vous dites ne soit vrai, Monsieur, répondit le même marin, continuant de servir d’interprète aux autres ; mais ce qui vous semble si dur n’est pour nous qu’un plaisir. Nous avons supporté trop d’ouragans pour nous mettre en peine d’un coup de vent, et nous croirions être toujours dans un calme, si nous nous trouvions dans une de vos casernes où l’on n’a autre chose à faire qu’à manger sa ration et à se promener en long et en large sur un petit terrain couvert de verdure. Nous savons à peine distinguer un des bouts d’un mousquet de l’autre.

— Oh ! oh ! dit Borroughcliffe d’un air pensif. Puis s’avançant tout à coup vers eux à grands pas, il s’écria avec vivacité : — Attention ! demi-tour à droite !