Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/130

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dont vous parlez si souvent, donnait la liberté à tous ceux qui touchaient ses bienheureux rivages. Vous savez, Monsieur, que sur vingt esclaves nègres que vous aviez amenés ici, il ne vous en reste que deux, tous les autres ayant pris leur vol sur les ailes de la liberté britannique.

C’était rouvrir une blessure mal fermée, et la malicieuse pupille savait fort bien quel effet cette remarque produirait sur l’esprit de son tuteur. Il ne se livra pourtant pas à ces transports de colère auxquels il s’abandonnait souvent dans des occasions moins importantes ; mais il se leva en concentrant toute sa dignité dans un regard qu’il jeta sur Catherine, et il ne se hasarda à lui répondre qu’après avoir fait un violent effort pour se maintenir dans les bornes du décorum.

— Il est très-vrai, miss Plowden, lui dit-il, que la constitution anglaise est glorieuse. Il est encore très-vrai que ce n’est que dans cette île que la liberté a pu trouver un domicile ; car la tyrannie et l’oppression du congrès, qui font des colonies un séjour de misère et de désolation, ne méritent pas ce nom sacré. La rébellion souille tout ce qu’elle touche, miss Plowden. Quoiqu’elle se montre souvent en naissant sous les bannières de la liberté, elle finit toujours par le despotisme. Les annales du monde en offrent la preuve depuis les Grecs et les Romains jusqu’à nos jours. Qu’était Jules César ? Un de nos favoris du peuple ; et il devint un tyran. Olivier Cromwell en fut un autre ; Cromwell, rebelle, démagogue, et enfin tyran. Ces gradations sont aussi inévitables que celles de l’enfance à la jeunesse, de l’âge mûr à la vieillesse. Quant à la bagatelle que vous avez jugé à propos de me rappeler, et qui… qui ne concerne que moi, je me bornerai à vous dire que… les affaires des nations ne doivent pas être jugées d’après les affaires domestiques ; de même que l’intérieur d’une famille ne doit pas se régler d’après la politique d’un État.

Comme beaucoup de logiciens plus habiles, le colonel prit son antithèse pour un argument, et resta un instant en admiration de son éloquence. Mais la suite de ses idées, toujours fécondes sur ce sujet, l’entraîna bientôt ; et reprenant son air de majesté imposante : — Oui, miss Plowden, continua-t-il, c’est ici, et ce n’est qu’ici, que peut se trouver la véritable liberté. Après vous avoir fait cette assertion solennelle, qui n’est pas faite légèrement puisqu’elle est le résultat de soixante ans d’expérience, je