Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/212

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objets éloignés, il s’arrêta et examina avec soin tout ce qui l’entourait. La fureur de l’ouragan s’était sensiblement apaisée, mais un courant d’air assez vif venant de la mer se faisait sentir à travers les branches des chênes dépouillés de leurs feuilles, avec un son lugubre et mélancolique. À la distance d’un demi-mille on commençait à distinguer, à l’aide de la lumière qui augmentait de moment en moment au-dessus de l’Océan, les murs de l’abbaye de Sainte-Ruth, et il y avait même des instants où le jeune marin croyait apercevoir l’écume couronnant les vagues de la mer. Le bruit de la marée qui commençait à revenir vers le rivage et des flots qui se brisaient contre les rochers escarpés de la côte était porté jusqu’à ses oreilles par le vent. C’était pour un jeune marin le temps et le lieu de réfléchir promptement sur les chances variées qu’offre sa profession dangereuse. À peine s’est-il passé un jour depuis qu’il avait employé toutes les ressources de son corps et de son esprit à diriger au milieu des périls le vaisseau à bord duquel ses camarades dormaient maintenant paisiblement, et à chercher à l’écarter de ce même rivage sur lequel il se trouvait indifférent à tous les dangers qui le menaçaient. Le souvenir de sa patrie et celui de sa maîtresse se mêlaient aussi dans ses idées, et sans y penser il s’avançait à pas lents vers l’abbaye, quand il entendit un bruit qui ne pouvait être que celui de la marche régulière d’une troupe d’hommes disciplinés. Son attention se reporta sur-le-champ sur ce qui devait être l’objet immédiat de ses pensées, et quelques instants après il distingua un détachement marchant en bon ordre vers la lisière du bois dont il venait lui-même de sortir. Il se rapprocha rapidement des ruines ; et quand il vit cette troupe s’avancer du même côté, il se hasarda à parler :

— Qui va là ? Qui êtes-vous ? *

— Un lâche coquin, répondit Manuel avec un ton d’humeur, un lapin qui cherche son terrier, un rat qui veut se cacher dans un trou. Morbleu ! faut-il que j’aie passé à demi-portée de fusil des ennemis sans avoir osé tirer un coup de mousquet, et même sur leurs avant-postes, parce que nos amorces étaient mouillées par cet infernal brouillard qu’on appelle prudence ! De par Dieu ! monsieur Griffith, je souhaite que vous ne soyez jamais exposé à la tentation que j’ai éprouvée de faire une décharge sur ce vieux