Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/214

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que pouvaient l’être les pensées de deux hommes d’un caractère si différent.

Ils passèrent ainsi une couple d’heures dans un repos mêlé d’inquiétude, et dans l’impatience de l’attente. Enfin les premiers rayons du jour parurent, et Griffith pensa qu’il devenait trop dangereux de laisser le piquet et la sentinelle exposés à la vue du premier passant qui pourrait arriver près du bois. Manuel s’opposa d’abord à tout changement, alléguant que ce serait renoncer à tous les principes de l’art militaire, car il outrait ses idées de tactique toutes les fois qu’il se trouvait en opposition avec un officier de marine. Mais en cette occasion Griffith montra de la fermeté, et la seule concession que put en obtenir le capitaine fut qu’il lui serait permis de placer une sentinelle derrière un mur délabré qui pouvait la couvrir. Après cette légère déviation à leurs premiers arrangements, ils passèrent encore quelques heures dans l’inaction, attendant avec impatience l’instant où ils pourraient agir.

Les premiers coups de canon que tira l’Alerte se firent entendre très-distinctement, et Griffith, dont l’oreille exercée reconnaissait au son le poids du boulet dont chaque pièce était chargée, déclara sur-le-champ que cette canonnade ne venait pas de l’Ariel. Le bruit de l’engagement qui succéda s’entendit encore mieux, et ce ne fut pas sans difficulté que Griffith résista à sa curiosité, et parvint à réprimer celle de ses compagnons. Personne n’outrepassa pourtant les bornes qu’imposait la prudence, et le dernier coup de canon fut tiré sans qu’un seul homme eût quitté la chambre dans laquelle il se trouvait. Les conjectures sur le résultat du combat succédèrent alors à celles qu’on avait faites, tant qu’il avait duré, sur les deux bâtiments qui étaient aux prises. Quelques soldats, qui avaient soulevé la tête après un repos troublé et interrompu, tâchèrent de se rendormir après avoir entendu les premiers coups de canon, prenant peu d’intérêt à un combat dans lequel ils n’étaient pas acteurs. D’autres faisaient de grossières plaisanteries sur ceux qui étaient aux prises, et jugeaient des progrès de l’action par le plus ou moins de rapidité avec laquelle se succédaient les bordées.

Lorsqu’il se fut passé quelque temps après la fin de la canonnade, Manuel se livra à sa mauvaise humeur.

— Il y a eu une partie de plaisir à une lieue de nous, monsieur