Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/220

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ritable caractère, et en lui inspirant déjà des soupçons que le temps ne devait servir qu’à confirmer.

Lord Herriefield était répandu depuis trop longtemps dans le monde pour ne pas connaître tous les manèges ordinaires des mères qui ont des filles à marier, et des filles qui désirent un mari. Comme la plupart de ceux qui n’ont eu des relations qu’avec des femmes qui sont la honte de leur sexe, il n’avait pas une très-haute idée des vertus du sexe en général, et sa manière de voir sur ce sujet n’était rien moins que romanesque. Catherine lui avait paru jolie ; elle était jeune, d’une famille noble, et lorsqu’il la vit pour la première fois, elle était dans un de ses moments calmes, n’ayant alors personne en vue contre qui sa mère lui eût donné ordre de diriger ses batteries.

Catherine avait du goût, et lord Herriefield ne pouvait lui plaire ; aussi n’employa-t-elle pour le captiver aucun de ces manèges adroits qu’elle mettait parfois en usage, et que l’expérience du vicomte n’aurait pas manqué de découvrir. Il attribua sa froideur à son désintéressement ; et pendant que Catherine jetait les yeux sur un officier de retour de France depuis quelques jours, et que sa mère convoitait pour elle un certain duc qui pleurait la mort de sa troisième femme, le vicomte se prit d’une belle passion pour elle, et il était éperdument amoureux avant que la mère ou la fille en eussent eu le moindre soupçon. Son titre n’était pas très-brillant, mais il datait de loin ; son patrimoine n’était pas très-considérable, mais ses actions dans la compagnie des Indes étaient nombreuses ; il n’était pas très-jeune, il est vrai, mais il n’était pas non plus trop vieux. Enfin, toutes réflexions faites, attendu que le duc venait de mourir d’une nouvelle attaque de sa goutte, qui lui était remontée dans la poitrine, et que l’officier s’était enfui avec une jeune espiègle qu’il avait enlevée dans une pension, la douairière et Catherine furent d’avis que, faute de mieux, il fallait se rabattre sur le vicomte, et qu’après tout un vicomte, fût-il vieux et infirme, valait mieux que rien.

Il ne faut pas supposer cependant que la mère et la fille eussent pu oublier tout sentiment de délicatesse au point de se communiquer ouvertement leur projet ; ce serait leur faire injure, et elles se respectaient trop pour cela ; mais elles savaient s’entendre sans se parler, et leur intelligence était parfaite et tenait presque de la sympathie. Trompées toutes deux dans leurs espérances, elles vi-