Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/243

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tait comme lui la famille du baronnet, quoique, dans le fond de son cœur, elle eût bien désiré paraître sur le pied de l’intimité avec des personnes qui étaient liées avec des ducs et des marquis. Son incorrigible mère, qu’aucune considération ne pouvait retenir, était parvenue à forcer lady Henriette et la douairière à la saluer. Elle se targuait de cette distinction avec sa maladresse ordinaire, et lorsqu’elle les rencontrait dans les salons de réunion, elle ne faisait que passer et repasser devant elles, et devenait une connaissance extrêmement fatigante pour les deux dames.

Le duc cherchait toutes les occasions possibles de se rapprocher d’Émilie, et Mrs Wilson remarqua que sa nièce paraissait le voir avec plus de plaisir que les autres jeunes gens qui lui faisaient la cour. D’abord elle fut surprise de cette préférence, mais bientôt elle en découvrit le motif secret.

Le duc ressemblait d’une manière frappante à Denbigh ; le son de la voix, la démarche, les manières étaient les mêmes. Aussi, au premier coup d’œil, était-il facile de s’y méprendre ; mais, en l’observant avec plus d’attention, on découvrait des nuances assez marquées qui le faisaient aisément reconnaître. Le duc avait un air de hauteur et de fierté qu’on ne voyait jamais à son cousin. Il ne cherchait pas à cacher son admiration pour Émilie, et comme il ne lui adressait la parole qu’avec ce ton respectueux que Denbigh avait avec les femmes, et auquel le son de sa voix prêtait tant de charme, Mrs Wilson vit bientôt que les restes de son attachement pour l’un étaient les seules causes du plaisir avec lequel elle semblait écouter l’autre.

Le duc de Derwent était loin de posséder toutes les qualités solides que Mrs Wilson trouvait indispensables pour un mari ; mais comme elle savait que le cœur d’Émilie était encore trop malade pour concevoir un nouvel attachement, et que d’ailleurs elle avait une confiance entière dans les principes de sa nièce, elle ne voulut point éloigner d’elle un homme aimable qui pouvait la distraire.

— Votre nièce sera un jour duchesse, Mrs Wilson, lui dit tout bas lady Laura, un matin que Derwent et Émilie étaient occupés à parcourir ensemble un nouveau poëme. Derwent en lut un passage avec un feu et des inflexions de voix qui rappelaient tellement à Émilie la dernière lecture que Denbigh lui avait faite, qu’involontairement sa physionomie expressive trahit un sentiment qu’elle eût voulu se cacher à elle-même.