Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/320

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jouement et de gaieté, avait-il peine à supporter sa mélancolie et son abattement continuel.

Francis se trouvait seul au milieu de la foule des étudiants, et son unique plaisir était de faire des vers et de les chanter. Il avait cette voix douce et suave qui était particulière à sa famille, comme nous avons déjà eu plus d’une fois occasion de le remarquer. Lorsque le soir, assis à sa fenêtre, il se mettait à chanter les vers qu’il avait composés le matin, la foule se rassemblait souvent pour écouter des accents aussi mélodieux que mélancoliques. Ses essais poétiques portaient l’empreinte de son caractère ; ils avaient quelque chose de triste, de vague et en même temps de religieux.

George se plaisait à se mêler aux auditeurs charmés qui se rassemblaient sous les fenêtres de son frère, et lorsqu’il entendait sa voix douce et plaintive, son cœur ému volait vers celui du pauvre Francis. Mais George était trop jeune, trop léger, pour deviner le sentiment qui blessait ce cœur trop tendre, ou pour chercher à le vaincre. C’eût été le devoir de ses parents, mais le monde et les occupations que lui donnait son grade prenaient tout le temps du père ; tandis que la mode, la dissipation et les parties de plaisir, venaient distraire la mère de toute idée sérieuse. Lorsqu’ils pensaient à leurs enfants, ils écartaient bientôt le souvenir pénible de Francis, pour ne s’occuper que de leur favori.

George Denbigh avait un cœur franc et ouvert ; il était généreux jusqu’à la prodigalité et confiant jusqu’à l’imprudence ; on peut juger d’après ce portrait que, malgré l’argent qu’il obtenait sans cesse de la faiblesse de sa mère, il manquait souvent des moyens d’exercer sa libéralité. La fortune du général, quoique belle, suffisait à peine à ses dépenses ; il devait être duc un jour, et il ne voulait pas que son état de maison déshonorât sa dignité future : en conséquence, il avait résolu d’habituer ses fils à une économie bien entendue, et ils recevaient une pension fixe et égale.

Le vieux duc avait offert de faire élever son héritier sous ses yeux ; mais lady Margaret avait trouvé, pour refuser, un prétexte ingénieux dont le monde avait fait honneur à son amour maternel, quoique, s’il eût été question de George, toutes ses objections eussent cédé au désir d’assurer la fortune de ce fils chéri, et de satisfaire son goût pour la dépense. De tels exemples ne sont pas rares : lorsque des parents prévenus ont décidé qu’un de leurs enfants manque d’esprit ou de jugement, ils ne peuvent souffrir