Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/321

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qu’un tiers impartial vienne s’entremettre entre eux et l’innocent objet de leur censure, de crainte qu’un œil clairvoyant ne découvre leur erreur ou leur injustice.

La profusion imprudente de George le laissait souvent sans argent. Un jour qu’il venait de voir disparaître sa dernière guinée, il fut entraîné à une table de jeu par un de ses camarades qui connaissait sa confiance et qui avait résolu d’en profiter. En peu de temps il perdit quarante guinées sur parole. Comment sortir d’un tel embarras ? deux mois devaient encore s’écouler avant qu’il reçût le premier quartier de sa pension. Souvent il avait obtenu de sa mère de petites sommes, soit pour ajouter quelque chose à sa toilette, soit pour satisfaire quelque autre fantaisie ; mais quarante guinées ! où les trouver ? Sa fierté et sa franchise naturelle s’opposaient également à ce qu’il cachât la manière dont il les avait perdues, s’il avait recours à ses parents. Sa situation était affreuse, sa conscience lui faisait de continuels reproches, et il en craignait encore de plus amers et d’aussi mérites. Combien de fois n’avait-il pas été témoin de la violente colère où sa mère se mettait contre Francis, pour des fautes que George trouvait bien légères ! et que n’avait-il pas à craindre s’il risquait un pareil aveu !

Ne sachant à quoi se résoudre, George entra dans la chambre de son frère, et, se jetant sur une chaise, il cacha sa figure dans ses mains, et resta plongé dans ses tristes rêveries.

— George ! lui dit son frère avec douceur, qui peut vous affliger ? Ne puis-je vous consoler ?

— Oh ! non…, non, Francis, cela est tout à fait hors de votre pouvoir.

— Peut-être vous trompez-vous, cher frère ; ayez un peu de confiance en moi, reprit Francis en cherchant à prendre une de ses mains dans les siennes.

— Non…, cela est impossible…, dit George. Et, s’élançant de sa chaise avec un mouvement de désespoir, il s’écria : — Et je vis ! et je puis mourir !

— Mourir ! s’écria Francis en reculant d’horreur ; que voulez-vous dire par un tel langage ? Ah ! George, ne suis-je plus votre frère, votre frère et votre meilleur ami ?

Le pauvre Francis pensait que si George n’était plus son ami, le monde entier ne renfermerait plus un cœur qui battît à l’unisson