Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/334

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Dès qu’il entra, l’amiral alla droit à lui, et lui demanda brusquement s’il désirait encore épouser cette fille, en lui montrant du doigt Isabelle. La réponse ne se fit pas attendre, et l’amant transporté allait se répandre en protestations de reconnaissance, lorsque sir Peter lui ordonna de se taire. Il appela sa fille, qui s’approcha le front couvert d’une vive rougeur ; il lui prit la main, la plaça dans celle de son amant, et de l’air le plus solennel il leur donna sa bénédiction. Il leur dit d’aller renouveler connaissance dans une autre chambre, et se tournant vers son ami, il s’écria ravi du coup d’autorité qu’il venait de faire :

— Voilà, Denbigh, voilà ce qui s’appelle montrer du caractère !

Le général avait assez de pénétration pour voir que ce dénouement était du goût des deux jeunes gens, et que le père d’Isabelle n’avait fait que combler les vœux de sa fille. Charmé du reste de voir se terminer aussi bien une affaire qui lui avait donné quelque inquiétude, et qui avait manqué de le brouiller avec son ancien camarade, il le félicita gravement de sa bonne fortune, et se retira.

— Oui, oui, dit sir Peter en lui-même, en se promenant dans sa chambre, Denbigh est bien mortifié, quoi qu’il en dise. Je lui ai fait voir comment il fallait agir. Ces gens-là ne connaissent pas la discipline. Ah ! s’ils avaient été sur mon bord !… C’est dommage pourtant que ce soit un prêtre… mais, bah ! après tout, un prêtre peut être un homme tout comme un autre… Oui, mais quelques talents qu’il ait, tout ce qu’il a de mieux à espérer c’est de devenir évêque, et voilà tout… Qu’importe ? je pourrai faire des marins de tous mes petits-enfants ; et qui sait si l’un d’eux ne deviendra pas amiral ?

Et il courut retrouver sa fille, voyant déjà en perspective une demi-douzaine de petits amiraux qui sautillaient autour de lui.

Sir Peter ne survécut que dix-huit mois au mariage de sa fille ; mais ce temps lui suffit pour concevoir un tendre attachement pour son gendre. M. Yves sut amener insensiblement l’amiral, pendant sa longue maladie, à envisager la religion sous un point de vue plus véritable qu’il n’avait été dans l’habitude de la regarder ; et le vieillard, après avoir béni ses enfants, rendit le dernier soupir entre leurs bras, prêt à paraître avec confiance devant son juge.

Quelque temps avant sa mort, Isabelle, dont la conscience lui