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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/339

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que l’effet d’un sentiment de pitié ou de compassion pour ces esprits inférieurs qui ne peuvent comprendre les réflexions qu’un esprit juste et posé lui suggère, ni s’élever à la hauteur de ses idées ?

Peut-être était-ce encore de l’ironie, et Francis en eut un instant l’idée ; cependant ce son de voix était si doux, si enchanteur, que, tremblant d’émotion, il s’aventura à lever la tête, et il rencontra les regards de Marianne attachés sur lui avec une expression qui pénétra jusqu’au fond de son cœur.

Ces paroles retentissaient toujours à son oreille ; il y pensait, il les commentait à chaque instant ; sans le regard qui les avait accompagnées, il aurait cru, comme les autres, que c’était le trait le plus sanglant qu’on lui eût lancé. Mais ce regard…, ces yeux…, cette voix ; quelle interprétation délicieuse ne leur donnaient-ils pas !

Francis ne resta pas longtemps dans l’angoisse. Le lendemain matin on fit des projets de promenade dont tout le monde devait être, excepté lui. Il était trop réservé ou trop fier pour se mettre d’une partie à laquelle personne ne l’avait invité, sans même qu’on lui eût fait entendre que sa présence serait agréable.

Plusieurs jeunes seigneurs se disputaient l’honneur de conduire la comtesse dans son charmant phaéton. Tous prétendaient avoir des droits à cette faveur insigne, et ils les faisaient valoir avec une chaleur égale à l’importance qu’ils attachaient à obtenir une préférence aussi éclatante. L’un rappelait depuis quel temps il aspirait à cet honneur, l’autre se prévalait d’une ancienne promesse ; tous enfin avaient des titres qui leur semblaient incontestables. Marianne écouta les divers candidats avec l’air d’insouciance et de légèreté qui lui était naturel, et elle mit fin à la dispute en disant :

— Puisque j’ai fait tant de promesses, Messieurs, pour n’offenser personne, j’aurai recours à la complaisance de M. Denbigh qui a aussi des droits que la modestie seule l’empêche de faire valoir. C’est donc à vous, dit-elle à Francis en lui présentant le fouet qu’elle devait remettre au vainqueur, c’est donc à vous que j’adjuge le prix, si toutefois vous voulez bien l’accepter.

Ces paroles furent accompagnées de l’un de ses sourires les plus gracieux, et Francis prit le fouet avec une émotion qu’il lui fut difficile de maîtriser.