Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/380

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au rang de lieutenant-colonel, avant qu’il se fût trouvé sur un champ de bataille.

Egerton avait de l’esprit et la plus vive imagination ; mais une indulgence funeste et de mauvais exemples l’empêchèrent d’en profiter pour acquérir des connaissances utiles ou des talents agréables, et de si heureuses dispositions ne lui servirent qu’à savoir plaire et tromper plus sûrement. La vivacité de son caractère, toujours avide de nouveautés et de mouvement, après l’avoir précipité dans d’autres excès, le conduisit à une table de jeu. Une imagination brûlante est un don bien dangereux pour un homme désœuvré et abandonné à ses passions ; s’il ne parvient pas à la maîtriser et à la diriger vers le bien, elle le conduira par une pente rapide hors des sentiers de la vertu.

Les vices se tiennent comme par la main, et ils semblent ne former qu’une longue chaîne dont tous les anneaux sont indissolubles. Une sorte d’influence électrique entraîne de l’un à l’autre, jusqu’à ce que nous ayons parcouru le cercle tout entier. On dirait aussi qu’il y a dans le vice une sorte de modestie qui le fait rougir de se trouver en bonne compagnie. S’il nous est impossible de concilier un de nos penchants avec nos principes, nous secouons aussitôt ce joug incommode, et une fois ce frein brisé, quelle digue s’opposera au déchaînement de toutes nos passions ? Egerton, comme mille autres, n’abandonna toutes les vertus, pour ainsi dire, qu’une à une, à mesure qu’elles gênaient ses vues ou qu’elles étaient un obstacle à ses plaisirs, et, libre de toute entrave, il se livra tout entier à ses penchants, évitant seulement de blesser les convenances sociales, c’est-à-dire de jeter le masque, car il ne voyait de crime que dans le scandale ; tout ce qui restait caché lui semblait innocent.

Lorsque son service l’appela pour la première fois sur le théâtre de la guerre en Espagne, et que le hasard lui montra Julia pleurant sur le corps de son mari, un sentiment de générosité et de compassion le fit voler à son secours ; mais ce sentiment, vif et rapide comme l’éclair, n’en eut que la courte durée. Voyant en son pouvoir une jeune femme belle et sans défense, il n’écouta bientôt que la voix de ses passions, et médita sa ruine.

D’autant plus dangereux qu’il était aimable, Egerton avait tout ce qu’il fallait pour séduire ; son ton, sa tournure, ses manières, étaient attrayants ; mais sa victime sut lui résister, et ce fut alors