Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/77

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rite en l’abandonnant ; en effet, après une discussion intéressante, il parut ne céder qu’à la rectitude du jugement de Jane, à la pureté de son goût.

Egerton paraissait tout à fait subjugué ; et Jane, qui voyait dans ses attentions délicates la preuve d’un véritable amour, entrevoyait déjà le moment doux et pénible à la fois où elle en recevrait l’aveu.

Jane avait un cœur tendre et sensible, trop sensible peut-être. Le danger était dans son imagination exaltée, qui n’était point réglée par le jugement, qui n’était guidée par aucun principe, à moins qu’on n’appelle principes ces maximes ordinaires, ces règles de conduite qui sont suffisantes pour retenir dans les bornes du devoir : pour ceux-là Jane en était pourvue ; mais ces principes qui peuvent seuls donner la force de maîtriser les passions, qui engagent à les combattre sans cesse, à ne jamais leur céder, la pauvre Jane n’en avait jamais entendu parler.

La famille de sir Edward se retira la première, et Mrs Wilson revint seule dans sa voiture avec sa nièce.

Émilie, qui n’avait pas paru s’amuser beaucoup pendant la soirée, rompit tout à coup le silence en disant d’un air ironique : — Ah ! le colonel Egerton est un modèle achevé ; pour peu que cela dure, ce sera bientôt un héros. Voyant que sa tante la regardait d’un air étonné, elle s’empressa d’ajouter : — Aux yeux de Jane, du moins.

Ces mots furent prononcés d’un ton d’humeur qui n’était pas ordinaire à Émilie, et Mrs Wilson la gronda doucement de porter un jugement téméraire sur une sœur qui l’aimait tendrement et qui avait sur elle l’avantage des années. Émilie pressa la main de sa tante en avouant qu’elle avait eu tort. — Mais, ajouta-t-elle, il m’est impossible de voir de sang-froid qu’un homme tel que le colonel Egerton exerce une sorte d’ascendant sur une femme qui a autant d’esprit que Jane, et surtout qu’il puisse, en gagnant ses affections, compromettre le bonheur d’une sœur aussi chère.

Mrs Wilson sentait intérieurement la vérité d’une remarque qu’elle avait cru de son devoir de blâmer, et elle pressa son Émilie contre son cœur.

Elle ne voyait que trop que l’imagination de Jane parait son amant de toutes les qualités qu’elle admirait le plus, et elle craignait que, lorsque le voile qu’elle contribuait à étendre sur ses