Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/99

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lait de lui, et c’était surtout lorsqu’il était question du temps qu’il avait passé en Espagne qu’il se montrait le plus réservé. D’après ces observations, Émilie était portée à croire que son rang était moins élevé que son mérite, et que c’était peut-être pour cette raison qu’il éprouvait une sorte d’embarras à se trouver avec le colonel Egerton, qui avait un grade supérieur.

La même idée avait frappé toute la famille et avait empêché que personne ne cherchât à prendre des informations qui eussent pu être désagréables à un jeune homme qui s’était acquis l’estime générale, et qui était l’ami du docteur Yves. Il eût été trop cruel de s’adresser à ce dernier, puisqu’on n’aurait pu lui demander des détails sur la famille de Denbigh sans rappeler la mort de son père, qui avait été un coup si douloureux pour toute la famille du bon ministre. Peut-être Francis avait-il été plus communicatif avec Clara, mais elle était trop discrète pour divulguer les secrets que son mari lui confiait, et d’ailleurs ses parents n’eussent jamais voulu l’engager à trahir la confiance de Francis.

De son côté Denbigh ne semblait pas moins préoccupé ; il ne parlait à Émilie que pour lui demander avec intérêt des nouvelles de toute la famille de sir Edward. Comme ils approchaient de la maison, il mit son cheval au pas, et après avoir hésité quelques instants, il tira une lettre de sa poche, et la présenta à Émilie.

— J’espère que miss Moseley me pardonnera, si je me suis permis d’être le messager de son cousin, de lord Chatterton. Il m’a si vivement prié de vous remettre cette lettre, que je n’ai pas eu le courage de le refuser. Je sais que c’est prendre une grande liberté, que je risque de vous déplaire, car je n’ignore ni son amour, ni le peu d’espérance que vous lui avez laissé ; mais il était triste, il m’a paru si profondément affecté, que j’ai craint d’irriter son mal en ne me prêtant pas à ses désirs.

Les joues d’Émilie se couvrirent d’une vive rougeur, elle prit cependant la lettre sans dire un seul mot, et pendant le reste de la route tous deux gardèrent le silence ; Denbigh ne le rompit qu’au moment où il allait entrer dans la cour, et dit alors avec émotion :

— J’espère, miss Moseley, que je n’ai pas offensé votre délicatesse. Lord Chatterton m’a fait son confident malgré moi. Son secret est un dépôt sacré qu’il a confié à mon amitié, et que je ne trahirai jamais. Dites-moi que je n’ai pas perdu votre estime.