Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/148

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— Le brigantin, dit le capitaine en gémissant et en prononçant ce mot avec un violent effort.

— Le brigantin ! répéta lentement l’alderman ; ma nièce n’a rien à faire à bord d’un vaisseau contrebandier. C’est-à-dire qu’Alida de Barberie n’est point dans le commerce.

— Alderman van Beverout, si nous désirons échapper à la souillure du vice, il faut éviter sa présence. Il y avait la nuit dernière dans le pavillon un être dont les manières et les discours auraient pu séduire un ange. Ah, femmes ! femmes ! votre esprit n’est que vanité et votre imagination est votre plus dangereux ennemi !

— Femmes et vanités ! répéta le bourgeois stupéfait. Ma nièce, l’héritière du vieux Étienne de Barberie, le rejeton de tant de noms honorables, de professions respectables, s’enfuir avec un corsaire !… en supposant toujours que votre opinion sur le caractère du brigantin soit juste. C’est une supposition trop improbable pour être vraie.

— L’œil d’un amant, Monsieur, peut être plus perçant encore que celui d’un tuteur.. Accusez-moi de jalousie si vous le voulez. Plût au ciel que mes soupçons fussent injustes ! mais si elle n’est pas là, où est-elle ?

L’opinion de l’alderman sembla chanceler : si la belle Barbenie n’avait pas cédé à l’attrait de ce sourire et de ce regard séduisant, à cette singulière beauté, et au charme secret et souvent irrésistible de l’esprit et des avantages personnels, lorsque l’existence de ceux qui les possèdent est enveloppée de mystère, à qui avait-elle cédé ? où s’était-elle réfugiée ?

Ces réflexions commençaient à embarrasser l’alderman comme elles avaient déjà déposé leur amertume dans le cœur de Ludlow. Avec la réflexion, la conviction pénétra peu à peu dans son âme. Mais la vérité ne brilla pas dans l’esprit du marchand calculateur et prudent avec la même promptitude que dans l’esprit jaloux de l’amant. Il pesa chaque circonstance de l’entrevue entre sa nièce et le contrebandier, se rappela les manières et la conversation du dernier, réfléchit au pouvoir que la nouveauté, lorsqu’elle est jointe à des circonstances romanesques, peut exercer d’influence sur l’imagination d’une femme, et s’arrêta longuement et secrètement sur quelques faits importants qui n’étaient connus que de lui seul, avant d’adopter définitivement