cette aveugle déité. Les autorités donnent-elles ordinairement crédit à ces accusations, sans quelques preuves de leur vérité ?
— On le nie.
— Vous êtes encore en possession de toutes vos facultés, capitaine Ludlow, et vous pouvez en faire usage. Mais c’est un artifice pour détourner de la véritable route. Il existe d’autres vaisseaux que le brigantin, et une belle capricieuse peut avoir cherché un protecteur jusque sous le pavillon de la reine Anne.
— C’est une vérité qui ne s’est que trop souvent présentée à mon esprit, monsieur van Beverout, observa le sentencieux patron. Il eût été nécessaire de nous assurer si celle que nous cherchons n’avait pas pris un parti moins extraordinaire, avant d’avoir cru si précipitamment que votre nièce pût consentir à devenir la femme d’un étranger.
— Monsieur van Staats a-t-il quelque intention cachée dans ses paroles, qu’il parle avec une telle ambiguïté ? demanda Ludlow.
— Un homme confiant dans ses bonnes intentions a peu d’occasions de parler d’une manière équivoque. Je crois avec ce fameux contrebandier qu’il est plus probable que la belle Barberie ait pris la fuite avec une personne qu’elle connaissait et pour laquelle je crains qu’elle n’eût que trop d’estime, qu’avec un homme qui lui est entièrement étranger, et sur la vie duquel il existe tant de mystères.
— Si croire que la jeune dame n’accordait pas légèrement son estime est une excuse pour les soupçons, alors je puis conseiller de faire des recherches dans le manoir de Kinderhook !
— Consentement et joie ! la jeune fille n’avait pas besoin de se sauver dans l’église pour devenir la femme d’Oloff van Staats, interrompit l’alderman ; elle aurait eu ma bénédiction dans cette affaire, et une bonne dot par-dessus le marché !
— Ces soupçons n’ont rien que de naturel entre deux hommes qui poursuivaient le même but, dit le contrebandier. L’officier de la reine pense qu’un regard d’une beauté capricieuse peint son admiration pour des domaines étendus et des prés fertiles, et le propriétaire craint l’attrait du service militaire et le pouvoir d’une imagination qui vogue sur l’onde. Cependant, puis-je vous demander ce qui existe ici pour tenter une beauté fière et adulée, et lui faire oublier son rang, ses amis, et ce qu’elle se doit à elle-même ?