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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/182

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Le jeune marin recula presque sur la même ligne où le groupe s’était posé, et attendit en silence le résultat de cette scène. Le rideau se leva au son du même instrument à vent, et Ludlow lui-même ressentit une émotion plus puissante que celle du simple intérêt, en regardant l’objet qui se présentait à sa vue.

Une figure de femme, revêtue, autant que possible, du costume de celle qui était au gouvernail du vaisseau et posée dans la même attitude, occupait le centre de l’alcôve. Comme l’image sculptée, elle tenait un livre dont les pages étaient tournées vers les spectateurs, tandis qu’un de ses doigts s’avançait comme s’il eût indiqué la route du brigantin. La draperie vert de mer flottait derrière elle, comme agitée par le vent, et son visage avait la même couleur sombre ainsi que le même sourire malin.

Lorsque le saisissement qu’occasionna le premier coup d’œil fut passé, l’alderman et ses compagnons se regardèrent avec surprise. Le sourire se montra plus ouvertement sur les lèvres du contrebandier, et il dit avec une expression de triomphe :

— Que celui qui a quelque chose à dire à la dame de notre vaisseau le déclare maintenant. Elle vient de loin à notre signal, et ne restera pas longtemps.

— Je voudrais savoir alors, dit Ludlow, en faisant un effort pour respirer, comme un homme qui sort d’un étonnement subit et puissant, si celle que je cherche est dans le brigantin ?

Celui qui jouait le rôle de médiateur dans cette cérémonie extraordinaire, fit un salut, et s’avança près du livre qu’il parut consulter et lire avec l’air d’un profond respect.

— En retour à votre question, on demande si c’est avec sincérité que vous cherchez celle à laquelle vous faites allusion.

Ludlow rougit ; mais la fermeté de la profession à laquelle il appartenait l’emportant sur la répugnance naturelle de l’amour-propre, il répondit d’une voix calme :

— Oui, avec sincérité.

— Mais vous êtes marin. Les matelots placent souvent leurs affections dans le bâtiment qu’ils habitent. Votre attachement pour celle que vous cherchez est-il plus profond que l’amour de votre profession errante, que celui que vous éprouvez pour votre vaisseau, plus grand que vos jeunes espérances ? vous occupera-t-il davantage que cette gloire qui fait le sujet de tous les rêves d’un soldat ?