Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/195

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tion qu’elle avait acquise. Il sembla d’abord que l’intention du croiseur royal était de tourner autour du cap, et de gagner le large dans la pleine mer, car l’avant était directement vers le nord ; mais à peine eut-elle décrit une ligne courbe autour de la petite crique qui, par sa forme, est connue sous le nom de Fer à Cheval, qu’on la vit s’avancer dans l’œil du vent, et courir avec la grâce et l’aisance d’un vaisseau en relâche, l’avant tourné vers le Lust-in-Rust. Ses desseins contre le contrebandier devinrent alors trop évidents pour admettre aucun doute.

Cependant la Sorcière des Eaux ne trahissait point le moindre symptôme d’alarme. L’œil expressif de la dame Vert-de-Mer semblait étudier les mouvements de son adversaire avec l’attention d’un être intelligent, et de temps en temps le brigantin se tournait légèrement dans les courants d’air variés, comme si une volonté cachée eut dirigé les mouvements du petit vaisseau. Ces mouvements ressemblaient à ceux du chien de chasse lorsqu’il lève la tête dans son chenil pour écouter quelque son lointain, ou pour saisir un parfum passager apporté par le vent.

Pendant ce temps, les progrès du vaisseau étaient si rapides, que le nègre secoua la tête avec un regard plus significatif encore et plus important qu’à l’ordinaire. Tout était propice à son approche, et comme l’eau du Cove, pendant l’espace de temps que le passage était ouvert, restait assez profonde pour y permettre l’entrée d’un vaisseau de gros calibre, le fidèle Bonnie commença à craindre un coup sévère pour le commerce à venir de son maître. La seule espérance qui lui restait pour le salut du contrebandier était le changement de l’état du ciel.

Bien que le nuage menaçant eût quitté l’embouchure du Rariton, et roulât vers l’ouest avec une rapidité effrayante, il ne s’était pas encore rompu. L’air avait la chaleur et l’apparence qui précède un orage ; mais, à l’exception de larges gouttes d’eau qui tombaient d’un nuage clair en apparence, c’était ce qu’on appelle une rafale sèche. Les eaux de la haie étaient par moments sombres, courroucées, vertes, et dans d’autres instants on aurait pu croire que de pesants courants d’air descendaient sur leur surface pour essayer leur pouvoir. Malgré ces sinistres présages, la Coquette poursuivait sa course sans diminuer d’une ligne la large surface de ses voiles. Ceux qui gouvernaient ses mouvements n’étaient point des hommes indolents de l’Orient ni des mers