Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/286

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— C’est une raison de plus pour vouloir pénétrer vos mystères ; jusque-là, adieu.

— Arrêtez, s’écria gaîment le jeune homme, voyant que Ludlow se préparait à quitter la chambre. Ne nous laissez pas longtemps dans l’incertitude, je vous prie. Notre maîtresse est comme l’insecte qui prend la couleur de la feuille sur laquelle il existe. Vous l’avez vue dans sa robe verte qu’elle ne manque jamais de porter lorsqu’elle vogue sur les côtes terreuses de votre Amérique ; mais dans une mer plus profonde, son manteau se teint du bleu de l’Océan, symptômes de changement qui dénotent toujours une excursion prochaine loin de l’influence de la terre.

— Écoutez-moi, maître Seadrift, cette folie peut être plaisante tant que vous aurez les moyens de la maintenir : mais souvenez-vous que, bien que la loi ne punisse le contrebandier que par la confiscation de ses marchandises, elle punit celui qui retient de force des individus par des peines personnelles, et quelquefois par la mort ! Souvenez-vous encore que la ligne qui sépare le contrebandier du pirate est facilement franchie, et qu’alors tout retour devient impossible.

— Je vous remercie, au nom de ma maîtresse, de ce généreux conseil, répondit le jeune marin avec une gravité qui faisait plutôt ressortir qu’elle ne cachait son ironie. Les boute-hors de votre Coquette peuvent atteindre loin, elle est légère sur l’eau ; mais qu’elle soit capricieuse, obstinée, trompeuse, enfin redoutable autant qu’elle voudra, elle trouvera dans le brigantin une femme qui l’égalera dans toutes ses ruses et qui sera de beaucoup supérieure à ses menaces !

Après ce prophétique avertissement de la part de l’officier de la reine, et cette froide réponse de celle du contrebandier, les deux marins se séparèrent. Le dernier prit un livre et se jeta sur une chaise avec une indifférence bien soutenue, tandis que l’autre quittait la maison avec une précipitation qu’il ne cherchait pas à déguiser.

Pendant ce temps, l’entrevue de l’alderman avec sa nièce continuait toujours. Les minutes succédèrent aux minutes, et le jeune marin du brigantin, qui avait continué sa lecture quelque temps après le départ de Ludlow, montrait évidemment, par une sorte d’inquiétude, qu’il attendait l’ordre de se rendre à la Cour des Fées. Pendant ces moments d’anxiété l’air du contrebandier était