Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/33

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ces diables d’hommes du bac qui quittent leur maison sans nous ! Allez en avant, Brutus, et dites-leur d’attendre la minute d’usage. Les coquins ne sont jamais exacts. Quelquefois ils partent avant que je ne sois prêt, et quelquefois ils me font attendre au soleil, comme si je ne valais pas mieux qu’un poisson sec. L’exactitude est l’âme du commerce, et mon habitude est de n’être ni au-delà, ni en deçà de l’heure.

Le digne bourgeois, qui aurait voulu, dans toutes les occasions, régler les mouvements des autres d’après les siens propres, se plaignait ainsi, tandis que son compagnon et lui se dépêchaient d’atteindre le bac sur lequel ils devaient s’embarquer. Une courte description de la scène ne sera pas sans intérêt pour une génération qu’on peut appeler moderne, en comparaison du temps que nous rappelons.

Une anse profonde et étroite pénétrait sur ce point dans l’île, à la distance d’un quart de mille. Chacun de ses rivages était bordé d’une rangée de bâtiments, comme les canaux de Hollande. Le cours naturel du passage devant être naturellement respecté, les rues avaient une courbure qui ressemblait assez à la forme de la nouvelle lune. Les maisons étaient ultra-hollandaises, basses, angulaires, d’une propreté minutieuse, avec un auvent sur la rue. Chacune d’elles avait cette entrée de mauvais goût et incommode, appelée stoop, sa girouette, ses lucarnes et ses murs crénelés. À un de ces derniers murs, une grue en fer s’avançait sur la rue, un petit bateau du même métal était suspendu à son extrémité, ce qui signifiait que ce lieu était la maison du bac.

Un amour inné de la navigation artificielle avait probablement porté les bourgeois à choisir ce lieu, comme la place d’où tant de barques partaient de la ville, car il est certain que les deux rivières auraient procuré des points plus favorables pour le même objet, possédant l’avantage de canaux larges et commodes.

Une cinquantaine de noirs étaient déjà dans la rue, trempant leur balai dans la crique et envoyant de l’eau sur les murs et la façade des édifices. Ce devoir facile et journalier était rempli avec des plaisanteries et des éclats de rire auxquels toute la rue se joignait avec la même gaieté.

Le langage de cette race bruyante et légère était le hollandais, déjà corrompu par l’accent anglais, et souvent par des mots anglais ; système de changement qui a probablement donné nais-