Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/348

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

coquins rient sous cape en songeant qu’ils s’amusent aux dépens d’un croiseur.

— Il n’y a que trop de vérité dans ce que vous dites, Trysail, car si l’Écumeur est disposé à nous éviter, il en a maintenant les moyens en son pouvoir.

— Une voile ! s’écria le matelot en vigie sur le mât de grand perroquet.

— De quel côté ?

— Du côté du vent, Monsieur ; devant ce nuage clair qui se lève au-dessus des eaux.

— Pouvez-vous voir comment il est gréé ?

— Par saint George, cet homme a raison, interrompit le maître ; le nuage empêchait de le voir ; mais le voilà ; un vaisseau bien gréé, dont les mouvements sont faciles ; son avant est tourné vers l’ouest.

Ludlow regarda à travers sa lunette : il avait un air attentif et grave.

— Nous avons peu de bras pour nous mesurer avec un étranger, dit-il en rendant la lunette à Trysail. Vous voyez qu’il n’a que ses voiles hautes ; cela ne conviendrait à aucun vaisseau marchand par une brise comme celle-ci.

Le contre-maître garda le silence, mais son regard fut encore plus long et plus attentif que celui du capitaine, puis il jeta tristement les yeux sur l’équipage diminué de moitié, et qui regardait avec curiosité le vaisseau devenu distinct par un changement dans la position du nuage. Trysail répondit enfin d’une voix basse :

— C’est un Français, ou je suis une baleine ! On peut le voir à ses courtes vergues et à la manière de hisser les voiles. Eh ! c’est un croiseur ; car un homme qui voudrait tirer parti de sa cargaison ne mettrait pas si peu de voiles lorsqu’il n’est qu’à une journée du port.

— Votre opinion est la mienne. Plût au ciel que tous nos gens fussent ici ! Nous avons peu de monde à opposer dans une action à un bâtiment qui est de la force du nôtre. Combien sommes-nous ?

— Moins de soixante-dix : c’est peu de bras pour vingt-quatre canons et des vergues comme celles-ci à manœuvrer.

— Et cependant le port ne doit pas être insulté : on sait que nous sommes sur ces côtes…