Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/122

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mais leurs serviteurs, qui, souvent exposés eux-mêmes aux sarcasmes de leurs supérieurs, s’abandonnaient à toute leur arrogance contre le premier venu, trop faible pour leur riposter.

Antonio supporta toutes ces plaisanteries avec courage, sinon avec tranquillité, mais toujours sans y répondre ; bientôt il approcha du lieu occupé par ses compagnons des lagunes. Là ses yeux se baissèrent, et il sentit que ses forces l’abandonnaient. L’ironie augmenta à mesure qu’il perdait du terrain, et il y eut un moment où le pêcheur rebuté eut l’idée de renoncer à la lutte. Mais passant une main sur ses yeux comme pour écarter un nuage qui obscurcissait sa pensée, il continua de ramer, et heureusement il eut bientôt passé le point le plus difficile pour son courage. Depuis ce moment les cris contre le pêcheur diminuèrent ; et comme le Bucentaure, quoique éloigné encore, était maintenant en vue, l’intérêt sur l’issue de la course absorbait tout autre sentiment.

Enrico était toujours à la tête ; mais les connaisseurs dans la science du gondolier commençaient à découvrir des indices de fatigue dans ses efforts affaiblis. Le marin du Lido le serrait de près, et le Calabrois s’avançait peu à peu sur la même ligne. En ce moment l’inconnu montra une force et une adresse qu’on n’aurait pu attendre d’une personne qu’on supposait d’un rang aussi élevé. Son corps penchait davantage vers l’aviron, et comme sa jambe était étendue par derrière pour aider le coup, il montrait des muscles qui firent naître des murmures d’applaudissements. On s’aperçut bientôt du succès de ses efforts. Sa gondole s’éloigna des autres, passa au centre du canal, et, par des progrès qui étaient à peine sensibles, il devint le quatrième dans la course. Les applaudissements qui récompensèrent ce succès s’étaient à peine élevés de toutes parts, que l’admiration fut excitée par un nouvel objet de surprise.

Livré à ses propres efforts et moins tourmenté par cette dérision et ce mépris qui arrêtent souvent une carrière plus importante, Antonio s’était rapproché de la masse des gondoles. On voyait parmi les gondoliers que nous n’avons pas nommés des visages bien connus sur les canaux de Venise pour appartenir à des hommes de la force et de l’habileté desquels la ville tirait vanité. Soit qu’il fût favorisé par sa position isolée, soit qu’il évitât les embarras que les mariniers se causaient les uns aux autres, le pêcheur dédaigné se montra un peu à leur gauche, arrivant de