Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/232

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— Ils ont donc été trop barbares, même pour toi ? dit don Camillo, qui examinait avec surprise l’œil à demi fermé et la poitrine palpitante du Bravo.

— Oui, Signore. J’ai été témoin cette nuit d’une preuve de leur infamie et de leur mauvaise foi, qui m’a fait envisager ce que je dois moi-même attendre deux. L’illusion est passée : à compter de ce moment, je ne les sers plus.

Le Bravo parlait d’un ton profondément ému ; et quelque étrange que cela fût dans un pareil homme, il semblait parler avec l’air de l’intégrité offensée. Don Camillo savait qu’il n’existe aucune condition dans la vie, quelque dégradée, quelque méprisable qu’elle soit aux yeux du monde, où il ne règne une opinion particulière sur la foi qu’on doit à ses compagnons ; et il avait assez vu la marche tortueuse de l’oligarchie de Venise, pour croire qu’il était possible que sa duplicité honteuse et sans responsabilité blessât les principes même d’un bravo. On attachait moins d’odieux aux gens de cette classe en Italie, surtout à cette époque, qu’il n’est facile de se l’imaginer aujourd’hui. Le défaut radical des lois et leur vicieuse administration faisaient qu’un peuple irritable et susceptible prenait trop souvent le droit de se rendre justice. L’habitude avait diminué l’odieux du crime ; et quoique la société dénonçât l’assassin, on pourrait presque dire que celui qui l’employait n’inspirait guère plus d’horreur que les gens religieux n’en conçoivent de nos jours pour celui qui survit à un combat singulier. Ce n’était pourtant pas l’usage que des hommes du rang de don Camillo eussent avec des gens de l’espèce de Jacopo plus de liaisons que n’en exigeait le service qu’ils en attendaient ; mais le langage et le ton du Bravo excitèrent tellement sa curiosité et sa compassion, qu’il finit, sans y penser, par remettre son épée dans le fourreau et par se rapprocher de lui.

— Ce n’est pas assez d’abandonner le service du sénat, Jacopo, lui dit-il ; ton repentir et tes regrets doivent te faire faire encore un pas de plus vers la vertu. Cherche quelque saint prêtre, et rends le calme à ton âme par la confession et la prière.

Tous les membres du Bravo furent agités d’un tremblement involontaire, et ses yeux se fixèrent sur don Camillo.

— Parle, Jacopo ; moi-même je suis prêt à t’écouter si cela peut alléger le poids qui pèse sur ton cœur.

— Je vous remercie, noble Signore, je vous remercie mille fois