Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/233

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de cet éclair de compassion ; il y a bien longtemps qu’il n’a brillé à mes yeux ! Personne ne sait quel est le prix d’un mot de bonté pour celui qui, comme moi, a été condamné par tous ses semblables. — Mes désirs, mes prières, mes larmes ont appelé une oreille qui voulut m’écouter ; et je croyais avoir trouvé quelqu’un qui m’aurait entendu sans mépris, quand la froide politique du sénat l’a frappé. J’étais venu ici pour méditer au milieu de ces morts détestés, quand le hasard m’a fait vous rencontrer. Si je pouvais… Le Bravo s’interrompit et regarda don Camillo avec un air de doute.

— Continue, Jacopo !

— Je n’ai pas même osé confier mes secrets au confessionnal, Signore : comment puis-je être assez hardi pour vous les apprendre ?

— Dans le fait, c’est une proposition étrange.

— Très-étrange, Signore. Vous êtes noble : je suis d’une humble naissance. Vos ancêtres étaient sénateurs et doges de Venise, et les miens, depuis que des pêcheurs se sont construit des huttes dans les lagunes, ont été des ouvriers sur les canaux et des conducteurs de gondoles. Vous êtes riche, puissant, courtisé ; moi je suis pauvre, proscrit, et, comme je le crains, condamné en secret. En un mot, vous êtes don Camillo Monforte, et je suis Jacopo Frontoni.

Don Camillo fut touché, car le Bravo parlait sans amertume et avec un accent de profond chagrin.

— Je voudrais que tu fusses au confessionnal, pauvre Jacopo ! lui dit-il. Je ne suis guère en état de te soulager d’un tel fardeau.

— Signore, j’ai vécu trop longtemps privé de la compassion de mes semblables, et je ne puis le supporter davantage. Ce maudit sénat peut me faire périr sans avertissement préalable ; et alors, qui s’arrêtera pour jeter un coup d’œil sur mon tombeau ? Signore, il faut que je parle ou que je meure.

— Ta situation est déplorable, Jacopo. Tu as besoin des avis d’un prêtre.

— Il n’y en a point en ce lieu, Signore ; et je porte un fardeau qui m’accable. Le seul homme qui m’ait montré de l’intérêt depuis trois longues et cruelles années est parti.

— Mais il reviendra, pauvre Jacopo !