Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/251

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le monde, et cependant tu ne me demandes même pas pourquoi nous sommes ici ?

Il y eut un éclair passager de méfiance dans le regard que le Bravo jeta à la hâte sur l’innocente créature qui lui parlait ainsi : mais cet éclair fut trop rapide pour changer l’expression d’intérêt affectueux qu’elle était accoutumée à trouver dans ses traits.

— Puisque tu veux que je sois curieux ; lui dit-il, apprends-moi donc pourquoi tu es venue ici, et par dessus tout, pourquoi y étant, tu t’y arrêtes.

— La saison est avancée, Carlo, répondit-elle parlant à voix basse, et nous le chercherions en vain dans les cachots souterrains.

— Je te comprends. — Marchons.

Geslomina s’arrêta encore un instant avec inquiétude ; mais, ne trouvant sur le visage de Jacopo aucune trace visible de l’angoisse qu’il endurait, elle se remit en marche. Jacopo lui parlait d’une voix étouffée, mais il était depuis trop-longtemps habitué à dissimuler pour laisser paraître sa faiblesse, quand il savait combien elle serait pénible à l’être sensible et fidèle qui lui avait donné toute son affection avec un dévouement et une sincérité qui provenaient de sa manière de vivre et de son ingénuité naturelle.

Afin de faire comprendre au lecteur ces allusions qui semblaient si claires à nos amants, il peut être nécessaire de lui expliquer un autre trait odieux de la politique de la république de Venise.

Quelle que puisse être la théorie avouée d’un État, on en trouve le secret dans sa pratique. Les gouvernements établis pour le bien du peuple n’emploient la force qu’avec précaution et répugnance, parce que leur objet est de protéger le faible et non de l’opprimer ; mais plus le système devient égoïste et exclusif, plus les moyens de coercition auxquels ont recours ceux qui sont au pouvoir deviennent sévères et annuels. Ainsi à Venise, où le système politique reposait sur la base étroite de l’oligarchie, la jalousie du sénat mettait les instruments du despotisme en contact direct même avec la dignité du prince titulaire, et le palais du doge était souillé par les prisons. Cet édifice majestueux avait ses cachots d’hiver et d’été. Le lecteur est peut-être prêt à s’imaginer que la compassion avait inspiré cette distribution pour donner quelque soulagement aux malheureux prisonniers ; mais jamais l’État de