Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/288

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comme témoin. Un plus grand nombre pourrait compromettre notre dignité.

Le conseil secret se sépara pour exécuter cette résolution, précisément à l’instant où les pêcheurs, assemblés dans la cour, venaient d’être renforcés par ceux de leurs compagnons qui étaient arrivés par eau.

Aucune réunion d’hommes ne sent aussi bien qu’un rassemblement de populace ce qu’elle doit à l’augmentation de son nombre. Sans discipline, et ne comptant que sur la force brutale pour triompher, la conscience de cette force fait partie intégrante de son existence. Quand les pêcheurs qui arrivaient virent la masse de leurs compagnons déjà réunis dans l’enceinte des murs du palais ducal, les plus hardis d’entre eux se sentirent une nouvelle audace, et ceux qui hésitaient devinrent déterminés. C’est le contraire du sentiment qu’éprouvent en général ceux qui sont appelés à réprimer ce genre de violence, et qui prennent ordinairement du courage en proportion de ce qu’ils ont moins besoin d’en faire preuve.

La foule rassemblée dans la cour poussait un de ses cris les plus furieux et les plus menaçants, lorsque le doge parut avec sa suite, s’approchant par une des longues galeries ouvertes du principal étage de son palais. La présence de l’homme vénérable qui présidait de nom à ce gouvernement factice, et la longue habitude de déférence des pêcheurs envers l’autorité, causèrent tout à coup, en dépit de leur insubordination actuelle, un profond silence. Un air de respect se répandit peu à peu sur les figures basanées qui avaient les yeux levés, tandis que le petit cortège s’approchait. Le silence occasionné par ce sentiment était si profond, qu’on entendait le froissement de la robe du doge, tandis que, retardé par ses infirmités et consultant d’ailleurs le décorum de son rang, il s’avançait à pas lents. La violence à laquelle s’étaient emportés auparavant ces pêcheurs grossiers, et la déférence qu’ils montraient en ce moment au spectacle imposant qu’ils avaient sous les yeux, prenaient leur source dans les mêmes causes, — l’ignorance et l’habitude.

— Pourquoi êtes-vous assemblés ici, mes enfants ? leur demanda le doge quand il fut arrivé au haut de l’escalier du Géant ; et, avant tout, pourquoi vous présentez-vous dans le palais de votre prince, en poussant des cris si peu convenables ?