Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/289

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La voix tremblante du vieillard fut parfaitement entendue, car ses tons les plus bas furent à peine interrompus par un souffle. Les pêcheurs se regardèrent les uns les autres, et tous semblaient chercher celui qui serait assez hardi pour répondre. Enfin l’un d’eux, placé au centre de la masse et de manière à ne pouvoir être aperçu, s’écria : — Giustizia !

— Tel est notre désir, dit le doge avec douceur, et j’ajouterai que tel est notre usage. Pourquoi êtes-vous assemblés ici d’une manière si offensante pour l’État et si peu respectueuse pour votre prince ?

Personne ne répondit encore. Une seule âme, dans toute la corporation des pêcheurs, avait su s’affranchir des liens de l’habitude et du préjugé, et cette âme avait abandonné le corps qui était maintenant déposé sur la dernière marche de l’escalier du Géant.

— Personne ne parlera-t-il ? reprit le doge. Vos voix, si audacieuses quand on ne vous demande rien, deviennent-elles silencieuses quand on vous interroge ?

— Que Votre Altesse leur parle avec douceur, lui dit tout bas le membre du conseil secret chargé d’être témoin de cette entrevue ; les Dalmates ne sont pas encore prêts.

Le doge le salua, comme pour exprimer son assentiment à un avis qu’il savait devoir être respecté, et reprit un ton plus doux.

— Si personne de vous ne veut me dire ce que vous désirez, il faudra que je vous ordonne de vous retirer ; et mon cœur paternel…

— Giustizia ! répéta la voix de l’individu caché dans la foule.

— Mais que demandez-vous ? Il faut que nous le sachions.

— Regardez ceci, Altesse.

Un pêcheur, plus hardi que les autres, avait tourné le corps d’Antonio de manière à exposer ses traits livides aux rayons de la lune ; et, en prononçant ces mots, il montra du doigt au prince le spectacle qu’il lui avait préparé. Le doge tressaillit à cette vue inattendue, et descendit lentement l’escalier, suivi de son cortège et de ses gardes. Il s’arrêta près du corps.

— Est-ce la main d’un assassin qui a fait ceci ? demanda-t-il après avoir jeté un coup d’œil sur le corps du défunt et fait le signe de la croix. Que pouvait gagner un Bravo à la mort d’un