sait cependant parmi les édifices particuliers du premier ordre, et toutes ses décorations extérieures annonçaient que c’était la demeure d’un seigneur de haute importance. Dans le palais, les pas silencieux et l’air méfiant des domestiques ajoutaient à la tristesse des appartements splendides, et lui donnaient une assez exacte ressemblance avec la république elle-même.
Comme les dames qui se présentaient n’étaient ni l’une ni l’autre étrangères chez le signore Gradenigo (tel était le nom du propriétaire du palais), elles montèrent l’escalier massif sans s’arrêter pour en examiner la construction curieuse qui eût attiré les regards d’une personne dont l’œil n’eût point été habitué à voir de tels édifices. Le rang et l’importance de donna Violetta lui assuraient une prompte réception ; tandis qu’elle était accompagnée à travers une longue suite d’appartements par une foule d’humbles valets, un d’entre eux était allé annoncer son arrivée à son maître. Lorsqu’elle fut parvenue dans l’antichambre, l’héritière s’arrêta, craignant de troubler la solitude de son tuteur. Ce délai fut de courte durée ; car aussitôt que le vieux sénateur eut appris l’arrivée de sa pupille, il quitta son cabinet, et vint au-devant d’elle avec un empressement qui faisait honneur à sa galanterie et à son zèle pour la charge qui lui était confiée. Le visage du vieux patricien, sur lequel les soucis et les méditations avaient tracé autant de rides que le temps ; son visage, disons-nous, brilla d’une joie franche en apercevant sa belle pupille. Il ne voulut point entendre ses excuses sur l’heure indue de sa visite, et en lui offrant le bras pour la conduire dans son propre appartement, il l’assura du plaisir qu’il éprouvait.
— Vous ne pouvez jamais venir à une heure inopportune, mon enfant, dit-il ; n’êtes-vous pas la fille de mon ancien ami, un dépôt précieux pour l’État ? Les portes du palais de Gradenigo s’ouvriront d’elles-mêmes, à l’heure la plus avancée de la nuit, pour recevoir une semblable visite ; l’heure enfin est tout à fait convenable pour respirer l’air du soir sur les canaux. Et d’ailleurs, ajouta-t-il en souriant, si je limitais le temps où tu dois me rendre visite, les innocentes fantaisies de ton sexe et de ton âge pourraient être contrariées. — Ah ! donna Florinda, nous devons prier le ciel que notre affection, pour ne pas dire notre faiblesse, à l’égard de cette fille séduisante, ne tourne pas à notre désavantage.
— Je suis reconnaissante de votre indulgence à tous deux,