Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/104

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dons de la plus grande importance, par la même raison qu’ils rendent le bateleur le personnage le plus ou le moins distingué de sa troupe ; et ceux qui ont eu occasion de vivre parmi les braves et, pourrions-nous ajouter, les nobles sauvages du continent américain, ont dû remarquer que les orateurs sont en général une classe qui a cultivé son art, faute des qualités nécessaires pour exceller dans celui qui est regardé comme plus honorable encore, la supériorité de la force musculaire.

Il existe un document curieux qui prouve que, même leurs successeurs, peuple qui, certainement, ne manque pas de finesse, ont été soumis à une semblable influence. Nous faisons allusion à un registre qui fut tenu sur les muscles et les nerfs parmi les chefs de l’armée de Washington, pendant le moment d’inaction qui précéda la reconnaissance de l’indépendance américaine. Il semblerait par ce document que les avantages de la vie animale entraient pour quelque chose dans les idées de nos pères lorsqu’ils firent le choix primitif de leurs chefs, circonstance que nous attribuons à la vénération que l’homme est secrètement disposé à montrer pour la perfection physique, jusqu’à ce que l’expérience lui prouve qu’il existe un pouvoir encore supérieur. Nos premières impressions sont presque toujours reçues par les sens, et l’alliance entre les prouesses guerrières et la force animale semble si naturelle, que nous ne devrions pas être surpris qu’un peuple si paisible et si inexpérimenté eût, dans sa simplicité, jugé un peu sur les apparences. Heureusement, s’ils placèrent quelquefois la matière dans une situation qui aurait dû être occupée par l’esprit, l’honnêteté et le zèle qui se trouvaient dans nos rangs firent triompher l’Amérique.

Par une conséquence assez naturelle de la haute faveur dont jouissaient les qualités physiques, dans le seizième siècle, on louait les excès mêmes. Celui qui pouvait résister le plus longtemps à l’influence des liqueurs spiritueuses était réputé un héros, comme celui qui soulevait la plus lourde masse, ou qui pointait le plus sûrement un canon dans une bataille. L’orgie dans laquelle l’abbé de Limbourg et son voisin Emich de Leiningen étaient alors engagés n’était point d’une nature extraordinaire ; car, dans un pays où l’on voit les prélats jouer tant d’autres rôles équivoques, on ne pouvait être surpris que des religieux s’engageassent dans une sorte de lutte qui n’avait que peu de danger,