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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/106

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un service qui conviendrait mieux à ton ordre de paresseux ; que tout ce qui est noble et brave abandonne les vertes prairies et les fraîches rivières du pays natal pour le soleil brûlant et les vents orageux d’Afrique, afin d’opposer un rempart aux infidèles ? il faut encore qu’ils soient raillés par des fainéants comme toi ! Va, compte les tombes, et récapitule le nombre des vivants, si tu veux savoir comment notre illustre grand-maître soutint sa cause contre Soliman, et comment se défendirent ses chevaliers.

— Tu ne trouverais pas fort convenable que je te priasse d’aller en purgatoire t’informer du succès de nos messes et de nos prières, et cependant l’un est aussi facile que l’autre. Tu sais fort bien que Rhodes n’est plus une île chrétienne, et qu’aucun de ceux qui portent la croix ne peut paraître sur ses rivages. Va, va, comte Albrecht, ton ordre est tombé en décadence, et tes chevaliers sont mieux où ils sont, cachés derrière les montagnes neigeuses du comté de Nice, qu’ils ne pourraient être dans les premiers rangs de la chrétienté. Il n’y a pas une vieille femme en Allemagne qui ne regrette l’apostasie d’un ordre si estimé autrefois, et pas une jeune fille qui ne se moque de ses hauts faits !

— Merci du ciel ! entendez-vous, monsieur Latouche ! et tout cela sort de la bouche d’un chantre de bénédictins, qui passe ses jours entre de bonnes murailles de pierre, au milieu du Palatinat, et ses nuits dans un lit bien chaud, à l’abri du vent ; à moins qu’il ne soit à remplir des devoirs religieux auprès des femmes de ses pénitents ?

— Jeune homme ! veux-tu scandaliser l’Église et braver sa colère ? demanda Boniface d’une voix de tonnerre.

— Révérend abbé, répondit Albrecht en se signant, car l’habitude et la politique le rendaient soumis à l’autorité prédominante du siècle ; ce que je dis est plutôt adressé à l’homme qu’à l’habit qu’il porte.

— Laissez-le donner carrière à ses fantaisies, interrompit le rusé Siegfried. Un chevalier de Rhodes n’est-il pas dans les ordres, et lui refuserons-nous le droit de prêcher ?

— On reconnaît à la cour du chevaleresque Valois, observa l’abbé Latouche, qui s’apercevait qu’il était nécessaire d’intervenir pour conserver la paix, que la défense de Rhodes fut éminemment valeureuse, et que la plupart des chevaliers qui y survécurent furent reçus avec de grands honneurs dans les villes chrétiennes.