Aller au contenu

Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même nom que toi, et qui était estimé de chacun dans la ville de Duerckheim ?

— Je suis le fils de celui dont parle Votre Révérence, mais je nie qu’il ait jamais été le vassal d’aucun moine de Limbourg.

— Bravement répondu, mon garçon ! s’écria Emich en frappant du poing sur la table avec tant de force que le coup fit vaciller tout ce qu’elle contenait ; comme il convient au serviteur de ton maître ! En as-tu assez, père Boniface, ou veux-tu interroger encore le jeune garçon sur le reste de son catéchisme ?

— Le jeune homme sait qu’il doit respecter sa condition présente, répondit l’abbé, affectant une égale indifférence pour l’exaltation du comte et pour la franchise de son forestier. Lorsqu’il viendra à notre confessionnal, nous trouverons l’occasion de lui donner d’autres principes.

— Par la vérité de Dieu, ce moment n’arrivera peut-être jamais ! Nous sommes à demi disposés à vivre dans nos péchés et à nous contenter de la fortune d’un soldat dans les temps de guerre : c’est la chance d’une mort subite sans avoir un passeport de l’Église. Nous sommes très-avancés dans cette route, n’est-ce pas, brave Berchthold ?

Le jeune homme salua respectueusement, mais ne répondit pas, car il voyait, aux visages animés, aux regards enflammés de tous les convives, que, dans ce moment, toute explication serait inutile. S’il eût été possible de douter de la cause qui produisait la scène qu’il avait devant les yeux, la manière dont les convives avalaient verre sur verre, à la volonté de celui qui portait la coupe, lui en aurait expliqué la nature. Mais, bien que le père Boniface ne fût guère moins ivre que les autres, il conservait encore assez de bon sens pour s’apercevoir que les paroles d’Emich contenaient une allusion d’un caractère hérétique fort dangereux.

— Tu es donc résolu à mépriser nos conseils et nos prédictions ? s’écria-t-il, regardant avec fierté le comte et son serviteur. Il vaudrait mieux dire tout d’un coup que tu voudrais voir les ruines de l’abbaye couvrir la montagne de Limbourg.

— Non, révérend et honnête religieux, tu donnes à mes paroles un autre sens que celui que j’y attache. Qu’importe à un comte de la noble maison de Leiningen que quelques moines trouvent un abri pour leur tête dans un asile consacré, à une portée de